Kyoto, impérialement vôtre

Des impasses et venelles de Gion, bordées de maisons de bois, dominées par les temples classés à l’Unesco, aux adresses de street food de Nakagyo à l’est, près du Nijo-jo, première résidence des shoguns, Kyoto demeure altière, poétique, épicurienne.

Texte Anne-Marie Cattelain-Le Dû

En 1868, par le jeu politique des familles dominantes, Kyoto perd son titre millénaire de capitale impériale au bénéfice d’Edo, qui devient Tokyo, capitale de l’Orient. Ni son aura, ni ses attraits, ni sa culture ne ternissent, et point d’évasion massive d’intellectuels et de grands bourgeois, au contraire. C’est chic, alors, de ne pas jouer les suivistes.

Riche de nombreux sites (temples, châteaux, jardins classés au Patrimoine mondial de l’Unesco), d’un artisanat remarquable, d’habitants attachés à préserver leurs maisons, leurs boutiques, leurs coutumes ancestrales, Kyoto nourrit les fantasmes des voyageurs, des écrivains, des artistes, peintres, cinéastes et photographes en premier plan. Nulle part ailleurs au Japon on ne croise, au quotidien, autant de jeunes, filles et garçons, vêtus de kimonos de soie ou de coton, et chaussés de geta (tongs en bois à plateforme). Nulle part ailleurs ne se perpétue avec autant de raffinement le culte des geishas et des apprenties, les maiko, s’exerçant aux arcanes de ce métier. Un métier où s’exprime tout à la fois l’art du maquillage, de la coiffure, de la danse, de la musique, du chant, afin de distraire et d’émerveiller un public mixte, trié sur le volet. N’entre pas qui veut en ces salons privés. Geisha n’équivaut en rien, comme on le croit parfois, à tort, à prostituée. Qui choisit ce métier se soumet à ses règles strictes, renonçant à toute vie privée, à toute vie familiale, vivant en communauté, sous l’autorité d’une okasan, à la fois régisseuse et surveillante générale. Les geishas content avec discrétion l’histoire de la ville, comme les moines bouddhistes la rythment de leur va-et-vient en kesa, leur tunique de toile orange. 

À Kyoto plus que nulle part ailleurs au Japon, les femmes de tous âges, même les jeunes filles, aiment porter un kimono, et pas seulement les jours de fête. © The Shinmonzen

Ainsi va Kyoto, affranchie et prude, religieuse et commerçante, gardienne du passé et soucieuse de son avenir, veillant à préserver son environnement tout autant que l’expression libre de ses artistes, de ses créateurs de mode, de ses maîtres en art floral et arts de la table. Kyoto parade, joue les coquettes en toute saison. Hormis au cœur de l’été où elle étouffe, prise en étau entre un soleil violent et une humidité lourde, elle se découvre avec plaisir, dix mois sur douze. Au printemps, lorsque les sakuras, les plus beaux des cerisiers, poudrent de leurs pétales veloutés le moindre espace vert, mais aussi en automne, dans la lumière ambrée, tamisée par la brume légère, quand les milliers d’érables flamboient, animant les pierres grises des temples, avec, en prime, moins de touristes et des prix plus raisonnables. En hiver, avec en toile de fond les monts alentour ourlés de neige se détachant sur un ciel bleu dur, d’une incroyable pureté.

Kyoto la gourmande se croque, se savoure au hasard des rues où les étals de brochettes de crevettes, de pieuvre, jouxtent les pâtisseries aux amandes et aux haricots rouges, où les meilleurs des sakés le disputent aux thés les plus subtils. Et où le Guide Michelin cartonne, avec sept 3 étoiles, dix-neuf 2 étoiles et quatre-vingt-quatre 1 étoile. On en lécherait ses baguettes.


The Shinmonzen, au bas coule la Shirakawa 

Entre Tadao Ando, son architecte, l’un des plus célèbres au monde, et Jean-Georges Vongerichten, le chef très très étoilé, ce palace de neuf suites, est né en janvier dernier sous de bons augures.

Mobilier d’éditeurs européens et matières locales, bois de cèdre, papier de riz, tatami se marient harmonieusement dans les neuf suites. © DR

Repérer au cœur de Gion, le quartier historique, dominé par les temples, le long de la rivière aux eaux limpides, un hangar et des maisons délabrées en bois. Imaginer d’y bâtir un jour un hôtel différent : le flair, l’instinct de Paddy McKillen, Irlandais, propriétaire de Villa La Coste, palace 5-étoiles en Provence. Démarches administratives, Covid… Cahin-caha, le « ryokan contemporain », comme l’appelle affectueusement son propriétaire, dévoile début 2023 ses neuf suites ouvrant toutes sur l’eau vive filant de pont en pont. Au printemps, nouvelle étape, gastronomique cette fois, avec Jean-Georges Vongerichten, chef français vivant aux États-Unis, qui définit la carte, forme à ses méthodes une team d’exception. Double révolution hôtelière orchestrée par ces deux personnalités pour bousculer la donne des 5-étoiles kyotoïtes très formatés, un rien contraints dans un carcan de règles, horaires minutés, imposés pour les repas, accueil souvent ampoulé peu en osmose avec les attentes d’une clientèle internationale rompue au service sur mesure. Un hôtel différent, en communion avec son quartier, Shinmonzen-Dori, « la rue des artistes » qui le borde et avec ses voisins, antiquaires, artisans, religieux.

Au choix, mais aussi confortables l’un que l’autre, futon ou literie européenne. À préciser
lors de sa réservation. © DR

« Cet hôtel représente la fusion nuancée du passé, du présent et de l’avenir. Je pense qu’il incarne l’essence même de Kyoto tout en séduisant les sensibilités cosmopolites », explique son architecte. Des lignes géométriques cadencent le béton brut, matériau de prédilection de Tadao Ando, que réchauffent des essences de bois, des panneaux de textile, des ikebanas, compositions florales poétiques, et de nombreuses œuvres d’art signées tant d’artistes de renom international – Louise Bourgeois, Damien Hirst, Hiroshi Sugimoto – que d’artistes émergents japonais. Dans les suites, même fusion esthétique entre le mobilier d’éditeurs européens, les parois en papier de riz et les sols en tatami qu’adoucissent des tapis artisanaux chinés dans les galeries alentour. Et dans les salles de bains aux amenities bio et locales présentées dans des boîtes en marqueterie claire, nouées d’un ruban tissé, on s’immerge avec sensualité dans la baignoire profonde en cyprès odorant, favorisant le sommeil et les rêves.

Les suites ouvrent toutes sur la rivière. Les plus grandes sont dotées d’un balcon avec table design faite main pour grignoter, prendre un verre. © DR
Le bar, très intimiste, prolonge la salle du restaurant. Sakés, cocktails, champagnes…
le barman a composé sa carte avec art. © DR

Trois surprenantes chambres en ville

Trois quartiers, trois styles d’hôtels ouverts fin 2019 et aussitôt refermés. Enfin en pleine activité.

01 – ACE HOTEL

© DR

Pour sa première implantation en Asie, la chaîne américaine a élu domicile à Kyoto, quartier ouest, dans un immeuble de 1926. Kengo Kuma, star de l’architecture nippone, et le studio Commune Design de Los Angeles signent ce 4-étoiles à prix accessible, avec 217 chambres arty (instruments de musique à disposition), trois restaurants dont le premier Stumptown Coffee Roasters Shop hors USA. L’Ace jouxte le Musée national de Kyoto, le Kyoto Art Center mais aussi le Nishiki Market, extraordinaire lieu dédié à la street food, la confiserie bicentenaire Kamesuehiro et la boutique d’encens Shoyeido, dans la même famille depuis 12 générations.

02 – HOTEL THE MITSUI KYOTO

© DR

Membre de la Luxury Collection de Marriott, ce 5-étoiles se situe dans un des quartiers huppés de Kyoto, à 15 minutes en métro de la gare centrale et de Gion, face au palais Nijo-jo, inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco. Derrière de hauts murs et un porche du xviiie siècle, dans un jardin de 1 500 m2, il s’élève à la place d’une des résidences de la famille Mitsui, célèbre dans l’industrie du tissu. Design André Fu, vastes chambres et suites, cuisine digne d’un trois-étoiles, onsen, le seul de la ville alimenté par une source naturelle : un vrai coup de cœur.

03 – AMAN KYOTO

© DR

Au pied du mont Daimonji, à quelques minutes à pied du Kinkaku-ji, temple d’or, et de 16 autres sites classés à l’Unesco, l’Aman, dernière réalisation de l’architecte Kerry Hill, s’éparpille sur une propriété arborée du xvie siècle. Ses chambres et son pavillon de vie avec bar-restaurant ouvrent sur 12 000 m2 de verdure. Un de ses atouts : l’onsen dont les eaux naturelles à 60 degrés, bourrées de minéraux, apaisent le stress et les tensions. Un havre de paix avec ses petits temples dédiés aux ancêtres. 


Kyoto l’épicurienne

Table étoilée, bar à saké, enseignes gourmandes… Kyoto se dévore, pas seulement du regard.

01 – KIKUNOI HONTEN

Le plus ancien des 3 étoiles Michelin, ouvrant sur un joli jardin, figure sur la liste des 50 meilleurs restaurants du monde. Son chef et propriétaire, Yoshihiro Murata, veille à maintenir une ambiance 100 % japonaise dans les petits salons privés où l’on s’installe à la horigotatsu, assis sur un tatami et un coussin, jambes et pieds glissés dans un trou. Seules notes européennes : le champagne et la truffe en saison. À booker longtemps à l’avance, si possible par l’intermédiaire du concierge de l’hôtel au moment de la réservation d’une chambre.

02 – SAKE BAR YORAMU

Confidentiel, neuf places seulement, mais un choix de sakés hors du commun et les conseils avisés de Yoram. En accompagnement, des assiettes végétariennes et végétaliennes mais aussi du fromage. Quartier Nijo-dori, à l’est. 

03 – GION MANJU FACTORY

Aucune hésitation, on file acheter des friandises traditionnelles, les manju, ces merveilles à la pâte de riz et au haricot rouge. On les choisit en forme de lapin, puisque 2023 est l’année de cet animal selon le zodiaque japonais.

Gion Manju Factory © DR

04 – THÉ FLOTTANT A L’HOSHINOYA KYOTO

Thé flottant à l’Hoshinoya Kyoto © DR

On accède à ce 5-étoiles uniquement en bateau, et la cérémonie du thé se déroule sur une terrasse dominant la rivière Oi. Gong ponctuant le début et la fin de l’expérience, jeune fille en kimono servant le précieux breuvage dans les règles de l’art… Une parenthèse 100 % romantique, 100 % dépaysante.

05 – FUKUJUEN

Au cœur de Kyoto, splendide, le magasin historique ouvert il y a plus de 250 ans ne vend que des thés d’exception et tout ce qui est utile pour le préparer. Dans le salon de thé prolongeant la boutique, on craque, entre autres, pour les spécialités françaises à base de feuille de thé.

06 – JAZZ CAFÉ ROKUDENASHI

The place to be pour les amateurs de jazz. Un café des années 1920 au décor inchangé pour écouter des morceaux, des plus classiques aux plus actuels, en savourant un thé, un café ou, mieux, un whisky japonais. À disposition, une collection de magazines du monde entier dédiés au jazz.


Les quatre adresses préférées de Katrina Uy

La directrice générale de l’hôtel The Shinmonzen a tissé un réseau de relations uniques et déniché des lieux incroyables pour ses hôtes.

© DR

01 – LA VILLA IMPÉRIALE KATSURA

« Le design de cette demeure jardin de 1615, située sur les berges de la rivière éponyme, inspire toujours nombre d’architectes. La réservation est indispensable. »

sankan.kunaicho.go.jp/english/index.html

02 – RYOTEI SHIGEMORI

« Pour introduire mes hôtes dans le monde des geishas, je choisis ce lieu où elles dansent, chantent et offrent le thé. On n’y accède que par cooptation. »

03 – GION MOURIYA

« Un restaurant teppanyaki, où le bœuf de Kobe est préparé à la perfection depuis 130 ans. Un délice fondant. »

mouriya.co.jp/gion 

04 – SUSHI RAKUMI

« Il y a sushis et sushis. Les plus frais, les plus délicieux, se dégustent ici. Une étoile Michelin, pas de site Internet, une table prise d’assaut midi et soir. » 

Carnet pratique

L’agence Exclusif Voyages monte des séjours sur mesure, traquant les plus belles adresses et s’entourant des meilleurs guides. 8 jours, 6 nuits sur place (2 au Shinmonzen en suite Hinoki, 2 à l’hôtel The Mitsui en chambre Nijo, 2 à l’Aman Kyoto en suite Hotaru), vols A/R Paris-Osaka Kansai en classe éco sur Air France, transferts privés : à partir de 13 600 €. exclusifvoyages.com

Article paru dans le numéro 130 d’Hôtel & Lodge.

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