Elle lave, elle rafraîchit, elle hydrate… L’eau est l’hospitalité même. À l’heure du développement durable, les hôteliers préservent la star de leurs salles de bains, la plus précieuse de leurs ressources… Pas question que le débit devienne délit.
Texte Aliette de Crozet
Au pied de la kasbah des Oudayas, les eaux du fleuve Bouregreg se mêlent à celles de l’Atlantique. Le Fairmont La Marina Rabat-Salé, premier 5-étoiles luxe de la capitale marocaine, assiste à cette fusion aquatique. Un flot de flukas, barques de pêcheurs, relient les deux rives. L’eau douce est reine aussi à l’intérieur du bâtiment, paquebot dessiné par l’agence Foster + Partners, amplement doté d’œuvres d’art. Une cascade roucoule ainsi à l’approche de la pièce maîtresse, 340 ailes de cristal planant au-dessus du jardin d’hiver. Mais l’opulence cache une gestion rigoureuse : l’eau de la fontaine, recyclée, arrose en goutte-à-goutte les orangers du rooftop. Économiseurs et mousseurs équipent discrètement la robinetterie des salles de bains. « Dans un hôtel, tout, et spécialement l’eau, semble fourni à volonté, remarque le directeur, Jérôme Lobier. Mais clients comme employés doivent apprendre à la consommer différemment, en suivant les trois R du développement durable : Recycler, Réutiliser, Réduire. »
Une révolution de l’eau également culturelle, car la salle de bains promet bien plus que de l’hygiène : « Elle est à la source de tous les plaisirs », résume Jany Gleize, le propriétaire du Relais & Châteaux La Bonne Étape, dans les Alpes-de-Haute-Provence. « Dans un monde dédié à l’extimité, elle reste le refuge de l’intimité : on s’y accorde un moment à soi face à son corps… et à un meuble élégant », souligne Isabelle de Bray, directrice de la communication chez Decotec. Bois labellisé PEFC (garantie de pratiques durables), laques sans formaldéhyde, cette Entreprise du Patrimoine Vivant fabrique, assemble et monte en France des meubles recyclables et astucieux. Elle y réalise les moules des vasques en Solid Surface ou Céramyl. Sa douche « Concept Voyage » avec coiffeuse au dos, dessinée par Stéphane Masini et Berta Potente, a séduit au dernier ISH, salon du sanitaire à Francfort, qui associait écologie, bien-être et émotion.
L’émotion ! Elle guide Christian Collot, le décorateur du Relais & Châteaux Richer de Belleval lancé par les frères Pourcel, duo de chefs étoilé : l’accord éclatant d’un hôtel particulier du xviie siècle et de l’art contemporain, au cœur du vieux Montpellier. L’idée de ce « palais où le temps s’est arrêté » ? Associer la nostalgie et le top de la branchitude, pour séduire une génération « qui ne connaît pas les robinets aux poignées en étoile ou les vasques à l’ancienne », sourit le designer d’origine polynésienne. Les espaces épurés jouissent de cette robinetterie en laiton massif siglée Margot, une marque des Maîtres-Robinetiers de France. Le radiateur doublé d’un sèche-serviettes, aux piètements vintage, étonne. Issu de la mode, Christian Collot accessoirise avec des pièces de design choisies avec la complicité de la maison RBC : pouf Munna Design, coiffeuse Maison Dada, sur fond de grands panneaux en grès cérame façon marbre. Les veines des plaques se raccordent, créant un décor apaisant pour l’œil et « presque médical pour la propreté et la neutralité ».
À l’origine exploitant des carrières de Macael, en Espagne, Cosentino créait il y a 30 ans des matériaux de surface imitant le marbre : Silestone®, à partir de pierre reconstituée, puis Dekton®, une céramique compacte. Ils associent résistance, facilité d’entretien et finesse (3 mm). Leur succès, et celui des lavabos et vasques, a entraîné pour Cosentino une croissance du chiffre d’affaires de 20 % dans le secteur hospitality en 2022. « Ainsi que la création d’un Cosentino City à Paris, un showroom pour accompagner les professionnels », se réjouit Anthony Glories, directeur France.
Les textures imitant la pierre, mais aussi le cuir, le béton, le bois ou l’ardoise et un grand choix de coloris (2 198 !) sont la spécialité de l’espagnol Acquabella. Célèbre pour son Dolotek®, formé à partir d’une résine et d’une pierre dolomitique, l’entreprise présentait à l’ISH une résine réalisée à base de rPET issu du recyclage de bouteilles. Car, et c’est une bonne nouvelle, « les choses s’améliorent », reconnaît le président de la commission développement durable à l’Umih (l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie), Ludovic Poyaux. Mousseurs et aérateurs ont fait baisser en moyenne la consommation des douches de 15 à 6 litres par minute. Également propriétaire de l’Auberge du Cheval Blanc, dans le Loir-et-Cher, il constate que la clientèle étrangère – les Néerlandais, les Finlandais, les Belges –, applaudit les labels écologiques… Là où on peut fredonner avec Charles Trénet « ah qu’il est beau, le débit de l’eau… ».
À la chasse
Dans le match WC traditionnels- WC lavants, on compte… les feuilles ! C’est en effet la fabrication du papier toilette qui entraîne la plus grande dépense d’eau. D’après une étude de Geberit, chaque chasse d’eau de sanitaires classiques consomme 6 litres – et le papier toilette utilisé par un ménage à l’année en exige… 2350 litres. L’« AquaClean Maïra Comfort », WC lavant séchant Geberit, n’utilise « que » 1 500 litres d’eau, grâce à sa douchette munie d’un aérateur et à son « Turboflush » facile à rincer. De plus, Geberit possède le label EcoVadis. « Mais les hôteliers nous choisissent d’abord pour la satisfaction des clients et le côté premium », assure Sandrine Garcia, chef de marché marketing Geberit Aquaclean.
La haute couture du produit d’accueil
Il y a plus de 50 ans, Georges Marchand, fondateur de Groupe GM, a l’idée de proposer aux hôteliers savonnettes, shampooings, gels douche, en partenariat avec de grandes marques cosmétiques. Aujourd’hui, il fournit 7 000 établissements dans le monde. Dans le cadre de son programme de développement durable « Care About Earth », Groupe GM a mis au point des produits aux formules eco-friendly, aux contenants d’origine végétale. Son distributeur, l’Ecofill, se remplit au moyen de poches recyclables. Parmi ses 37 marques partenaires, dont Guerlain, Éditions de Parfums Frédéric Malle, Nuxe, Clarins, Codage, Phytomer, Kos ou Anne Semonin, plusieurs sont labellisées Cosmécert, Cosmos Organic ou Ecolabel européen, facilitant l’attribution, pour les hôtels, de la Clef Verte. Fabrication des jus et remplissage des flacons s’effectuent au sein de l’usine située à proximité de Lyon, ce qui permet au groupe d’offrir des produits made in France.
Article paru dans le numéro 128 d’Hôtel & Lodge.