En offrant à leurs clients de grands et de petits moments de bonheur, en leur proposant des expériences toujours plus surprenantes, exclusives, inoubliables, les plus beaux hôtels du monde (re)mettent l’humain au cœur de leur métier. Et tout le monde y gagne.
Texte Céline Baussay
Les mentalités ont changé. Désormais, la réussite d’un séjour à l’hôtel relève de critères subjectifs. « Avant, les clients demandaient la plus grande suite ; aujourd’hui, ils demandent celle qui a la plus belle vue. Tout est dans le ressenti, explique Frédéric Savoyen, fondateur et PDG du groupement d’agences de voyages Eluxtravel. Ils ne recherchent plus le côté ostentatoire, mais un mix de confort et d’expérience, un enrichissement au sein de l’hôtel et à l’extérieur. Ils veulent avoir la sensation de vivre des choses uniques, des moments rares, qu’ils soient d’ordre culturel, gastronomique, sportif… et évidemment personnalisés. L’hôtel n’est plus un simple lieu de villégiature pour dormir, bien manger et se prélasser. Le luxe ne passe plus uniquement par le côté grand, brillant, majestueux, mais aussi par tout ce que l’on va mettre autour. Des groupes comme Six Senses, Soneva, des hôtels comme le Castello di Reschio, en Italie, l’ont compris et s’y adaptent très bien. »
Le staff qui reconnaît et salue chaque client par son nom, qui se rend disponible, à son écoute, échange avec lui, le conseille : ce processus, avant, pendant et après le séjour, entre petites attentions et propositions d’activités sur mesure, est dans l’ADN des hôtels de luxe. « Mais ce qui fait la différence, c’est l’âme qu’on y met, précise Dimitri Ruiz, chef concierge du Fouquet’s Paris, président des Clefs d’Or France. La relation humaine reste indispensable, même si on a pensé à un moment que les nouvelles technologies allaient la freiner. » Garants de ce service d’excellence, nécessairement ultra-personnalisé, les hommes et les femmes qui composent le staff, et pas seulement les réceptionnistes, concierges, majordomes et autres guest relation managers. « L’hospitalité a toujours été liée au personnel en place, confirme Philippe Lebœuf, qui dirige le tout nouveau Raffles London at The Owo, après 13 ans à la tête du Mandarin Oriental Paris.Mais dans un environnement de luxe moderne et de marché hautement compétitif, cela signifie une équipe polyvalente, capable d’offrir une expérience enrichissante et inoubliable à des hôtes ayant déjà beaucoup voyagé, qui cherchent à apprendre, à être émerveillés. »
Dès lors qu’ils sont satisfaits, un rapport de confiance s’instaure et parfois, une dimension affective entre même en jeu : « Nous remarquons chez nos clients réguliers un souhait de créer et de développer des liens privilégiés avec l’établissement et ses collaborateurs, souligne Sylvain Ercoli, le directeur général de l’Hôtel Bulgari Paris. Une cliente a même demandé à l’un d’eux d’officier en tant que maître de cérémonie à son mariage, qui s’est tenu dans le jardin de notre penthouse ! »Même constat à des milliers de kilomètres : « Certains des guides et employés de nos campements en Afrique ont eu les mêmes clients à plusieurs reprises. Ils leur donnent l’impression qu’ils sont chez eux, loin de chez eux. Ils ont tant d’histoires passionnantes à raconter, de connaissances à partager, qu’ils ont tissé des liens étroits », confie Roberto Viviani, chef des ventes de Wilderness.
Les hôtels déjà bien installés partent avec une longueur d’avance sur ceux qui viennent d’ouvrir. Leur carte maîtresse : l’antériorité et la fidélisation acquise au fil du temps.« C’est peut-être plus facile pour nous car l’authenticité, la sincérité dans notre approche font partie de notre ADN de maison de famille, alors que d’autres doivent les créer », reconnaît ainsi Zeina Georges, copropriétaire du San Régis à Paris. Shannon Knapp, présidente de la collection The Leading Hotels of the World, rappelle de son côté l’atout commun à tous ses membres : « Nos hôtels sont indépendants et détenus à 80 % par des familles : les Scherz du Gstaad Palace, les Gambardella du Santa Caterina, les Ghitis des Nayara Resorts, les Uva du São Lourenço do Barrocal, les Faessler du Sonnenalp Hotel… Elles ont une expérience de plusieurs décennies dans la création d’expériences et la découverte de tout ce que leur destination a à offrir. Elles captent l’authenticité culturelle et l’atmosphère de leur emplacement, offrant ainsi aux clients l’opportunité d’établir des liens profonds avec le lieu et ses habitants. »En résumé, elles maîtrisent l’art et la manière d’éveiller l’émotion, dans l’hôtel, mais aussi hors les murs.
Trois questions à Dimitri Ruiz
Quel est le mot qui résume le mieux votre métier, aujourd’hui ?
L’immédiateté. Elle est omniprésente, elle est devenue notre quotidien. Nos clients ont toujours eu des demandes de dernière minute, mais maintenant, ils veulent la réponse tout de suite, même quand ils sont en avion, puisqu’il y a le Wi-Fi à bord. Nous devons être aussi force de proposition en amont des séjours avec des échanges immédiats, par mail, via WhatsApp… Le plus grand changement, c’est qu’on est passé d’un métier de services à un métier d’expérience client, puis à un métier d’expérience émotionnelle.
Comment créer l’émotion ?
Nous l’amenons toujours avec sincérité, avec le même enthousiasme que pour des proches. Toutes les équipes sont mobilisées en ce sens. Et grâce à nos échanges, l’émotion est réciproque. Nous sommes les acteurs et réalisateurs des idées, même les plus folles, et la question reste toujours : que peut-on offrir de plus pour apporter de l’âme, de la profondeur ? Quand on est concierge, il faut être à jour des tendances et expert dans tous les domaines, mais aussi être source de plaisir.
Un exemple ?
Un couple de grands-parents voulait gâter sa petite fille de 11 ans, fan de street art. Nous avons organisé pour eux une visite de l’exposition Basquiat à la Fondation Louis-Vuitton, puis nous les avons emmenés devant une œuvre monumentale dans Paris. À leur retour à l’hôtel, nous avons offert aux grands-parents un portrait souvenir de tous les trois, et à la jeune fille une reproduction de l’œuvre. C’était une surprise. Nous avons fait plaisir à chacun d’eux et ils s’en souviendront.
San Régis, 100 ans d’histoire intime
Un hôtel particulier dans tous les sens du terme : créé en 1923 par André Terrail, le propriétaire de La Tour d’Argent, le San Régis, dans le Triangle d’or parisien, a vu passer sous sa superbe marquise Lauren Bacall, Romy Schneider ou encore Gene Kelly. Adresse d’initiés appréciée pour son luxe discret et son art de vivre à la française, le 5-étoiles, Small Luxury Hotels of The World depuis 21 ans, est aujourd’hui codirigé par deux sœurs, Sarah et Zeina Georges, qui entretiennent l’esprit maison de famille : « De plus en plus, nos clients recherchent des moments hyper-privilégiés, des conseils sur mesure, des attentions personnalisées et sincères. C’est ce qui les touche, c’est le cœur de la fidélisation. Ils n’ont plus de requêtes extravagantes comme avant, quand on nous demandait un gâteau de 200 kilos ou de louer un caniche pour faire “plus parisien”, note Zeina. En revanche, quand une cliente régulière a voulu reconstituer chez elle une chambre du San Régis, on l’a accompagnée, on lui a trouvé la même literie, les mêmes tissus. Le luxe suprême, c’est le temps que l’on passe à chouchouter nos hôtes. »
Article paru dans le numéro 132 d’Hôtel & Lodge.