Pour constituer ou enrichir une collection, pour soutenir une scène locale, créer un sentiment communautaire, répondre aux attentes d’une clientèle esthète, de plus en plus d’hôtels s’offrent comme lieux d’inspiration… et de résidence artistique. Tour d’horizon.
Texte Sarah Belmont
Dormir au milieu d’œuvres d’art – dans un musée qui dispose de quelques chambres, comme le Fiermonte Museum à Lecce ou dans un hôtel de collectionneur tel The Dolder à Zurich –, c’est bien. Dormir sous le même toit que des artistes – au Madeleine Arles ou encore à la Villa Médicis à Rome –, c’est encore mieux. De plus en plus d’hôtels lancent des programmes de résidence artistique. Attention ! Entendons-nous sur le terme de résidence, employé à tort et à travers à des fins promotionnelles. Il ne s’agit pas d’une carte blanche à un artiste convié à décorer, comme au Conservatorium d’Amsterdam, une suite, ou d’une exposition, ainsi que le suggère la communication du Supetar Cavtat, en Croatie, mais d’une invitation à séjourner pendant x semaines ou mois dans un cadre hôtelier, afin de créer. Les uns jouent sur les mots ; les autres s’emmêlent les pinceaux car le phénomène demeure relativement nouveau.
Au cœur de cette démarche, un intérêt pour l’art et le désir d’enrichir une collection existante ou d’en constituer une. Depuis 2021, Abadía Retuerta, un Leading Hotels of the World proche de Valladolid en Espagne, invite chaque année des artistes à produire des œuvres en son sein. Au peintre marocain Abderrahim Yamou, auteur de trois grandes compositions végétales, a succédé le duo espagnol Los Bravú, qui s’est concentré sur les oiseaux du potager de cette ancienne abbaye, parmi les vignobles de la vallée du Duero.
Pour la Ferme Saint-Siméon, à Honfleur, un Relais & Châteaux autrefois fréquenté par les impressionnistes, il s’agit d’entretenir la mémoire de ses fondateurs, monsieur et madame Toutain, que Claude Monet, Camille Corot et d’autres rémunéraient en tableaux. Cette année, le 5-étoiles réactive son programme de résidence, interrompu en 2003 au profit d’une rénovation. « Les lauréats, choisis par les propriétaires et une poignée d’experts, seront encouragés à laisser une production derrière eux », nous apprend Mickaël Monti, le directeur des opérations de la collection Saint-Siméon.


Qu’elles soient réservées ou non à une scène locale, ces initiatives ont souvent pour objectif de forger un sentiment d’appartenance à une communauté. C’est dans cet esprit qu’a été fondé le Mamula Island Hotel, qui trône sur une île monténégrine longtemps restée inhabitée et incite clients et résidents à interagir. Si l’hôtel Figueroa, à Los Angeles, affilié à The Unbound Collection d’Hyatt, met un point d’honneur à exposer et héberger des plasticiennes californiennes, la résidence du Gladstone House, à Toronto, dont la collection rassemble une majorité de signatures canadiennes, brasse toutes les nationalités. De même, le Minos Beach Art Hotel en Crète abrite quelque 70 pièces d’artistes grecs réalisées in situ, tandis que son voisin, le Minos Palace, du même groupe Bluegr Hotels & Resorts, accueille des talents du monde entier.

Si la plupart des programmes durent quelques semaines, certains résidents sont considérés comme permanents. C’est le cas de Jeffrey Okyere-Agyei, ancien manager haut placé dans l’hôtellerie de luxe, qui a accepté un poste de portier au Park Hyatt New York afin de pouvoir se consacrer en parallèle à son art. Le voilà régulièrement exposé dans le 5-étoiles. Jacqueline Poirier enseigne la peinture au sein même du Ritz-Carlton Toronto. Son travail sur porcelaine a déjà attiré l’attention d’Al Pacino, Halle Berry et George Clooney, lequel aurait lancé face à son portrait : « Ça, c’est ma tasse de thé ! » Quant au sculpteur Juan Waelder, il jouit d’un atelier au cœur de La Residencia, A Belmond Hotel, à Majorque.


La gestion de ces résidences est souvent confiée à des professionnels du monde de l’art. Si Belmond se repose sur la Galleria Continua, qui possède plusieurs ancrages dans le monde et envoie trois artistes par an à La Residencia, le MacArthur Place à Sonoma, en Californie, passe par la new-yorkaise Uprise Gallery. « Nous venons de recevoir nos premiers résidents, Matt Frenot et Lise Chevalier, au Hameau des Baux, dans les Alpilles », annonce de son côté Constance Breton, directrice artistique de la collection Les Petites Maisons, le concept d’hôtels de luxe créé par Beyond Places. Dernier arrivé dans cette collection, Les Chalets du Mont d’Arbois, à Megève, devrait à terme adopter la même programmation que son cousin provençal.

Certains hôtels n’offrent « que » le gîte et le couvert ; d’autres assurent les frais de production des œuvres. Les uns promettent une exposition ; les autres, une acquisition, avec ou sans contrepartie, comme l’obligation d’interagir avec la clientèle. Cas exceptionnel : l’Hotel Belmar, au Costa Rica, propose de prendre en charge les billets d’avion de ses guest artists, invités à créer en immersion dans la forêt. Les conditions d’accueil varient mais l’amour du Beau demeure : « Le but ultime, c’est de sensibiliser à l’art ceux qui n’y sont pas familiers », conclut Lorenzo Fiaschi, co-directeur de Galleria Continua.
Des artistes en herbe
Certains établissements proposent à leur clientèle de mettre la main à la pâte, en participant à des ateliers d’arts plastiques. C’est le cas de La Residencia, A Belmond Hotel, à Majorque, ou du Baha Mar, aux Bahamas. Au Teranka, à Formentera, Rocio Moreno, du service des réservations, donne des classes vertes de « céramique botanique » : il s’agit d’aller cueillir sur l’île des plantes qui serviront de motifs à ses élèves. Tous les dimanches, l’Acqualina, à Miami, invite un artiste floridien à dispenser un cours de peinture.
Le relooking d’une institution

La Villa Médicis à Rome, qui accueille des artistes français en résidence depuis le xixe siècle, fait peau neuve et se montrera sous un jour inédit en avril prochain. Cette mue, lancée par son directeur Sam Stourdzé, implique, outre les salons de réception et les pièces historiques du site, les chambres d’hôtes, confiées à des architectes, des designers et artistes contemporains. La Camera Fantasia conçue par Gaëlle Gabillet, Stéphane Villard (Studio GGSV), Riccardo Cavaciocchi (Paper Factor) et Matthieu Lemarié, par exemple, repose sur l’idée d’illusion.
Des œuvres et des lettres

Institution ancrée au cœur de South Beach, à Miami, The Betsy est peuplée d’œuvres d’art. L’hôtel convie régulièrement des écrivains à trouver l’inspiration entre ses murs tapissés de peintures et photographies ou, quelques mètres plus loin, au bord de l’Océan Atlantique. Une chambre leur est systématiquement attribuée. Son nom : The Writer’s Room…
Article paru dans le numéro 138 d’Hôtel & Lodge.