Peu d’hôtels prestigieux, à Paris ou ailleurs dans le monde, appartiennent encore à des propriétaires privés. Les Baverez, eux, résistent aux offres d’achat, gérant leurs 5-étoiles en toute indépendance. Retour sur 125 ans d’excellence hôtelière.
Texte Anne Marie Cattelain Le Du
Véronique Beauvais-Crefcoeur, quatrième génération de Baverez, deuxième femme à diriger les hôtels homonymes, a grandi au Majestic, derrière l’Arc de triomphe, dans l’appartement de fonction de sa maman, Françoise Baverez.« Biberonnée » à l’hôtellerie, elle intègre le groupe familial, une fois ses études de juriste terminées, poursuivant avec la même détermination l’aventure commencée en 1890 par Théophile, son aïeul. Admirative du parcours de ce négociant en fromages qui, entre deux tournées pour vendre ses comtés, rêvait d’un autre destin. Il saisit sa chance en rachetant l’Hôtel de l’Europe à Besançon. Son fils Constant l’assiste dans la gestion de ce plus bel établissement de la ville, qu’ils rebaptisent Le Grand Hôtel d’Europe. L’arrivée d’une belle-mère, après le décès de sa mère, incite Constant à quitter Besançon pour Paris, avec une idée en tête : percer les secrets de l’hôtellerie. Il travaille à l’hôtel Vendôme, au Meurice. En se frottant aux VIP, il acquiert les codes du luxe. Propriétaire du Grand Hôtel d’Europe au décès de son père, il rejoint Besançon, en louchant sur Paris. En 1898, avec des associés, il achète, 2 place des Pyramides, un immeuble qu’il métamorphose en hôtel, inauguré pour l’Exposition universelle en 1900. Confort extrême, décor d’hôtel particulier avec ses boiseries, son mobilier, ses œuvres d’art, le Regina s’attache une clientèle de fidèles, tandis que Constant devient une figure de cet univers de fêtes et de luxe balbutiant. En 1904, Isabelle II d’Espagne meurt. Constant rachète son palais de Castille, près de l’Étoile, pour y bâtir son premier « palace », l’Hôtel Majestic : 400 chambres et suites, toutes avec salle de bains.
Fort de sa réussite, il étoffe son portefeuille en 1925, construisant, avenue Kleber, l’hôtel Raphael, qui deviendra le pied-à-terre des stars d’Hollywood : Walt Disney, Errol Flynn, Ava Gardner…
En 1936, l’Hôtel Majestic est vendu, mais les Baverez conservent le fonds de commerce et les dépendances, ce qui leur permettra d’ouvrir le Majestic Hôtel-Spa, très novateur avec ses 57 chambres et suites, dont la moitié équipées de cuisine, sa salle de sport, sa piscine, son spa.
« Ni ma mère ni moi n’avons postulé pour obtenir le label palace, explique Véronique Beauvais-Crefcoeur. Nos 5-étoiles le sont par essence, par esprit, par cette élégance discrète, parisienne, que nos hôtes apprécient au-delà de tout. » Elle poursuit : « Je qualifierais notre collection de parisienne, avant même d’être française : un plus pour notre clientèle étrangère (85 % depuis le Covid, américaine en tête). Mais, comme les enfants d’une même famille, chacun des hôtels a sa personnalité. Le Regina, culturel, mode, attire les artistes, les passionnés d’expositions : le Louvre, le musée des Arts décoratifs, le musée de l’Orangerie sont à deux pas. Le Raphael, plus parisien, intimiste, un musée à lui seul, séduit les personnalités raffinées, discrètes, appréciant de boire un verre au bar ou sur le rooftop sans être importunées. Quant au Majestic, on le choisit pour vivre des semaines, voire des mois, à la parisienne, dans un univers contemporain, dynamique. »
Qui écrira la suite de cette histoire ?« Deux de mes filles poursuivent des études à l’Institut de hautes études de Glion, en Suisse, qui, en dehors de l’hôtellerie, initie aussi ses élèves à l’univers du luxe. Je ne leur mets aucune pression, souligne Véronique. Dans 14 ans, quand je prendrai ma retraite, la question se posera. »
Françoise Baverez, la première femme
Succédant à son père, Paul Baverez, Françoise a dirigé le groupe familial pendant 54 ans, ce qui, en 2014, lui a valu d’être élevée au rang de chevalier de la Légion d’honneur, avant de passer le flambeau à sa fille. Ses passions : l’accueil de ses clients, la décoration, le beau mobilier. Un amour hérité sans doute de sa grand-mère, l’épouse de Constant. Née Rink, elle descendait d’ébénistes réputés du faubourg Saint-Antoine. Françoise siège toujours au conseil d’administration et passe dans ses hôtels saluer le personnel, dont certains membres travaillent dans le groupe depuis des années.
Article paru dans le numéro 126 d’Hôtel & Lodge.