Artisanat d’art : la reconnaissance de l’hôtellerie

Décorateurs, architectes, propriétaires soucieux de griffer leurs hôtels sollicitent de plus en plus les artisans d’art et les Entreprises du Patrimoine Vivant, leur offrant une belle vitrine.

Texte Anne Marie Cattelain Le Du

« Nous sommes les chefs d’orchestre, et les artisans d’art donnent vie à nos idées », lancent d’emblée Bruno Moinard et Claire Bétaille, de l’agence Moinard Bétaille, symbole dans le monde de l’art de vivre à la française. « Nous entraînons sur nos projets ces femmes et ces hommes qui, à notre demande, subliment nos projets, allant jusqu’à inventer des matières. Personne ne possède mieux la technique du staff que l’équipe de l’atelier Louis Del Boca. Personne ne brode si bien, d’après nos dessins, que les brodeuses de la Maison Lesage des motifs, pour moderniser les sièges du Plaza Athénée. Personne ne propose des poignées de porte, des lampes en bronze aussi belles que les Ateliers Jean Perzel. Et personne ne sait mettre nos esquisses, nos délires en forme comme les ferronniers de Pouenat. Un vivier incroyable. » 

Laurent Maugoust, comme nombre de propriétaires, architectes, décorateurs, le reconnaît : « Les artisans d’art sont le prolongement de la main. M’associer à des artisans locaux travaillant des matériaux locaux, cela donne du sens, une histoire à raconter. En France, nous jouissons d’un patrimoine, d’une culture, d’une histoire que le monde nous envie, avec des codes universels de bon goût. Mettre en avant ces belles maisons, c’est mon cheval de bataille : Charles, artisan façonnier du bronze depuis plus de 100 ans, Henryot & Cie, qui depuis 150 ans peaufine du mobilier, la maison Ecart International, créée par Andrée Putman, qui réédite le mobilier Art déco des plus grands. »

Un temps à la peine, les métiers manuels trouvent un second souffle. Lison de Caunes, spécialiste en marqueterie de paille, l’avoue : « Dans les années 1970, je vivotais, puis l’Art déco réapparaissant, ainsi que le souci du durable, j’ai été contactée par des décorateurs. Peter Marino, architecte designer, a installé mes créations dans les magasins Vuitton et Guerlain, puis, plus tard, au Cheval Blanc Paris. Antonio Citterio et Patricia Viel m’ont confié la réalisation de paravents pour l’hôtel Bulgari Paris, Pierre-Yves Rochon des panneaux pour le Woodward de Genève. Une chance ! Le céréalier qui me fournit la paille de seigle de Bourgogne, faute de débouchés, envisageait de fermer. Ce renouveau a sauvé son exploitation. » Une chaîne d’excellence se retisse.

Lison de Caunes, avec la complicité de décorateurs, a remis au goût du jour la marqueterie en paille, qui magnifie, entre autres, le Cheval Blanc et le Bulgari à Paris, et le Woodward à Genève. © Michelangelo Foundation

« Nous jouons un rôle clé dans ce renouveau de l’artisanat d’art, confie Christophe Poyet, de l’agence Humbert & Poyet. Certains de nos commanditaires, comme le groupe Belmond, sont aussi sensibles à la “patte” française. D’où l’opportunité de collaborer avec les artisans les plus pointus pour métamorphoser la péniche Coquelicot en bateau de croisière 5-étoiles, qui battra pavillon Belmond, en surmontant les problèmes, l’humidité par exemple. »

Pour métamorphoser la péniche Coquelicot du groupe Belmond en 5-étoiles flottant, l’agence Humbert & Poyet a travaillé de concert avec les artisans français les plus ingénieux. © DR

Les pros se creusent les méninges pour proposer des solutions, des échantillons, des patines, des finitions adaptées. « Chacun s’enrichit des connaissances de l’autre, précise encore Christophe Poyet. Chacun découvre les contraintes d’un métier, d’un univers. »

Le luxe se lit aussi dans l’infiniment petit, le détail. Qui remarque les interrupteurs électriques ? Pourtant une vilaine prise gâche l’harmonie d’une pièce. André Bousquet, qui fonde Meljac en 1995 – nom de son village natal aveyronnais –, réfléchit pendant dix ans, avec ses équipes, à la façon d’usiner des interrupteurs haut de gamme. « La réelle valeur ajoutée de Meljac, comme le souligne Jean-Michel Lagarde, directeur général,c’est notre personnel, son investissement, sa fidélité. L’hôtellerie de luxe représente 30 % de notre clientèle. Sans des personnes motivées, impossible de peaufiner ces créations uniques. Regardez les prises USB de l’hôtel Meurice, dont la forme évoque la pyramide du Louvre proche du palace : elles sont uniques. »

Meljac réalise du sur-mesure pour les hôtels de luxe, qui représentent 30 % de sa clientèle.

Si l’on s’extasie sur le mobilier, les luminaires, les dorures, on oublie parfois que d’autres corps de métier, plus souterrains, participent à cette mise en scène du beau, du chic. « Peut-on imaginer, à Villa La Coste, dans le Luberon, où l’art occupe une place privilégiée, que pendant un an, dix tailleurs de la société Art de la Pierre ont élevé au cordeau les murs en pierres sèches, pavé les ruelles, assemblant chaque élément taillé au plus près », rappelle Pierre-Alexandre Francin, PDG de Bleisure, consultant image et création auprès des hôtels de luxe.

Après avoir pensé et coordonné la rénovation de l’Hôtel de Crillon, Aline Asmar d’Amman, fondatrice de Culture in Architecture, œuvre à Venise sur la métamorphose du Palazzo Donà Giovannelli, chef-d’œuvre du xvie siècle, en 5-étoiles pour le groupe Orient-Express : « Je suis tombée en amour de tous ces artisans qui me soutiennent, avoue-t-elle. Une conversation avec l’un d’eux devient un dessin qu’il va mettre en relief. J’avoue un faible pour les artisanes, les patineuses des ateliers Gohard Paris, les tapissières des Ateliers Philippe Coudray, les brodeuses de la Maison Lesage. Ma passion convainc les propriétaires de me suivre, d’accorder au sein de leur palace la place de choix que ces femmes et ces hommes méritent. »

Après avoir orchestré pendant trois ans la rénovation de l’Hôtel de Crillon, à Paris, Aline Asmar d’Amman, de Culture in Architecture, coordonne le chantier du somptueux Palazzo Donà Giovannelli du XVIe siècle, à Venise, futur palace de la collection Orient-Express. © Jules Faure

Atelier Alain Ellouz, passion albâtre

© DR

L’Atelier Alain Ellouz s’inspire des lieux, de leur histoire, de leur atmosphère pour dessiner des objets exclusifs en albâtre, pierre qu’il a remise au goût du jour, exportant ses créations dans le monde entier. À l’Hôtel du Cap-Eden-Roc, palace de la collection Oetker à Antibes, ses suspensions « Oslo » évoquent des bouées de sauvetage ballottées par la brise, se reflétant le soir dans la Méditerranée, tandis que ses appliques « Soho », tamisant la lumière, participent à l’élégance intemporelle du lieu.

Chevilles pensantes et productrices du studio et des ateliers Alain Ellouz : Alexis Jouvin, directeur technique, designer, et Marion Biais-Sauvêtre, directrice artistique, responsable de production. © DR

Au cœur de l’hôtel, des ateliers

Le Grand Salon du Negresco, à Nice, et son mobilier entretenu par l’équipe de l’atelier de l’hôtel. © Grégoire Gardette

Deux hôtels mythiques, le Negresco, à Nice, et l’Hôtel du Palais, à Biarritz, possèdent leurs propres ateliers labellisés Entreprises du Patrimoine Vivant. Dix-sept artisans veillent ainsi au mobilier et à la décoration voulus par Jeanne Augier, propriétaire du Negresco de 1957 jusqu’à sa mort, en 2019. Au sein des Ateliers Folin, dans la rue homonyme à Biarritz, sept artisans d’art, employés de l’Hôtel du Palais, entretiennent la collection de meubles historiques qui magnifient chambres et parties communes.

Article paru dans le numéro 125 d’Hôtel & Lodge.

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