ROCK’N’ROLL ATTITUDE SUR LE WHARF

Séjourner sur Fisherman’s Wharf n’est pas un « must ». D’autant qu’au delà du Golden Gate, la Highway 101 invite à l’évasion grand format.

Au début des années cinquante, Stan Delaplane, journaliste au San Francisco Chronicle, fit sensation en préchauffant un verre où se dorait une sacro-sainte dose de whiskey irlandais. Devant les piliers de comptoir médusés, il ajouta du café noir fort et brûlant, adouci de sucre brun, touilla savamment et fit glisser sur le dos d’une cuiller retournée un peu de crème légèrement battue afin de parfaire l’onctuosité du breuvage. Il baptisa le tout : « Californian Coffee », le café californien. Au retour de l’aéroport de Shannon, avec l’actrice Maureen O’Hara et Fred Astaire, danseur à claquettes, il transposait malicieusement l’invention d’un barman de Foynes, un hameau irlandais perdu au bout d’un débarcadère à hydravions. Joe Sheridan y réchauffait ainsi les passagers frigorifiés, l’hiver, au sortir des chaloupes. Plus tard, Stan rendra à Joe ce qui appartenait à Joe et le « Café irlandais » – l’Irish Coffee »- véritable fit fortune, à partir du bar Buena Vista sur Fisherman’s Wharf. L’écrivain Jack London s’y ancrait toujours, après « l’appel du large », en quête du cabaret de la dernière chance…

Fisherman’s Wharf  reste le point d’ancrage des touristes à San Francisco. A bâbord, on y contemple le majestueux pont du Golden Gate ; on y déambule d’un « Pier » à l’autre, depuis l’embarcadère des Ferries pour Tiburon (et la Sausalito des «Beatniks » d’autrefois) jusqu’à l’Aquarium géant, la « marina » aux voiliers d’estivants et le rocher escarpé d’Alcatraz au sinistre pénitencier où rôde le fantôme d’Al Capone. Si on ne « s’échappait pas d’Alcatraz », la file d’attente des amateurs de frisson est sans fin, au départ du « Pier 33 », sur l’Embarcadero… Ailleurs, au « 39 », le shopping à bon marché amplifie la déambulation de masse.

Entre à-pics surplombant l’océan et forêts de sequoïas géants, la Highway 101 mène aux plages sauvages de Limantour, du nom d’un marin Breton qui posséda, à la mi XIXème siècle, la moitié de San Francisco dont il fut dépossédé au terme d’un interminable procès d’Etat. Elle conduit encore aux vignobles de Sonoma, vers la Napa Valley, puis aux plantations du parc Yosemite. C’est dire si les tentations y sont légion, traduites ici par « 101 things to do » (101 choses à faire) par la Highway… 101 ! Mais impossible de zapper Fisherman’s Wharf. Alors, où descendre ? La réponse s’appelle « Zephyr » ! L’ancien Radisson austère aux 361 chambres uniformes a pris un coup de jeune, digne d’American Graffiti. C’est tout juste si les hôtesses ne circulent pas en roller-skate entre le « Johnny Rockets » resto flashy, mitoyen à hamburgers (labellisés d’origine) servis devant des mini juke-box « vintage » d’où s’échappent les solos de guitare de Gene Vincent. Ou d’Elvis.

On est, ici, dans un hôtel inspiré par la « rock’n’roll attitude », d’où le confort nouvelle vague n’est pas un fantasme, loin s’en faut.

Il répond à toutes les caractéristiques du « concept hôtel », fait pour familles de « quadras » décontractés, en couple, ou avec enfants. Sous les fresques murales de Popeye et Tartine (héros de BD très années cinquante), on déambule entre fontaines et gabions d’ancienne usine où brûle une pyramide d’anciens computers, symbolisant l’exorcisme des bureaucrates de la Silicone Valley ! On se retrouve alors au cœur d’un immense patio, sur fond de murs composés de containers multicolores où les jeux d’adresse pour enfants rivalisent en originalité. Les ados y grignotent des tapas à l’arrière d’un « Food truck » approvisionné par la maison Boudin, une dynastie de boulangers français venus faire fortune sur le «wharf » à l’époque de la ruée vers l’or. Ils nourrissaient les mineurs. Le blé était leur or.

Bref, ici le « casual » est roi, même si derrière l’apparence du tout vintage, une décoratrice d’avant-garde, Melina Weiss, a su poser sa griffe, multipliant ses subtilités de « designer » pour mieux capturer l’essence, les racines du « wharf » d’antan… Une compagnie de 112 personnes travaille chaque jour à travers les trois étages. Toutes les chambres, ou presque, habillées façon cabine de paquebot, avec cartes marines et couvre-lits siglées « SOS » en guise de pied-de-nez, surplombent le patio. Au troisième, en angle, une suite avec vue à 180° surplombe le parking et permet d’accrocher Alcatraz du regard. Et surtout l’enseigne lumineuse d’un crabe géant façon Las Vegas. Il rappelle que l’heure est au dîner et qu’à « The Franciscan » voisin des sirènes stylisées chevauchant les crustacés attrapent le gourmet par les pinces… Carpaccio de pieuvre, « garlic clams », « combo » de moules, crevettes et pattes de crabes, fondent dans l’assiette.

Les amateurs de front de mer (hors « wharf ») se retrouvent plutôt au « Waterfront », « Pier 7 » sur Embarcadero, de l’autre côté de la ville de mer. On n’est pas loin de l’hôtel « W » tout aussi rock’n’roll, mais plus Beatles vs Rolling Stones. Tous, d’une marche digestive ou d’un aller en trolley rétro se retrouvent au « Buena Vista » pour le dernier Irish Coffee, servi « à la chaîne » – une douzaine de verres alignés – par un barman magicien.

Ah si Jack London, Stan Delaplane ou Joe Sheridan voyaient ça !

Texte : Patrick Mahé – Photos : D.R

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