Mandarin Oriental Bangkok, un roman-fleuve

L’histoire de l’Oriental, premier hôtel de luxe ouvert au Siam (devenu la Thaïlande en 1939), refuge privilégié de nombre d’écrivains, embarque dans son histoire les voyageurs qui s’y amarrent. Au fil des mots, au fil de l’eau.

Texte Anne Marie Cattelain Le Dû

Respirer, déstresser, fuir les cris des marchands haranguant la foule, oublier les klaxons, les embouteillages, l’agitation pour, dans les brumes auréolant le fleuve Chao Phraya, laisser les souvenirs affluer, habités par les ombres bienveillantes des célébrités du monde entier, romanciers en tête, dont les va-et-vient des bateaux sur le fleuve ont nourri les écrits… Érigé par deux Américains, Atkins Dyer et William West, en lieu et place d’une maison d’hôtes où se posaient les capitaines au long cours, l’Oriental ouvre en 1876, au cœur du quartier européen, encore en devenir, voulu par le roi Rama V. Incroyable épopée de cet hôtel mythique qui, en 2008, troque son nom d’origine pour celui de Mandarin Oriental, Bangkok, ayant en 1972 intégré la collection Mandarin Oriental, qui fête cette année ses 60 ans.

Pour rejoindre le spa, sur l’autre rive de la Chao Phraya, on emprunte le bateau de bois traditionnel de l’hôtel © DR
Face aux bâtiments des années 1920, les tours du xxie siècle du Bangkok des affaires. © DR

Débuts chaotiques, entre un personnel bousculé par les exigences des hôtes et un incendie qui ravage les bâtiments, deux ans après l’inauguration. Qu’à cela ne tienne, ses propriétaires le reconstruisent à l’identique avec l’intention, comme ceux qui leur succéderont jusqu’à aujourd’hui, de jouer les pionniers. Premier hôtel étoilé construit au bord du fleuve, premier à ouvrir un club de jazz live, premier à disposer d’un spa, premier équipé d’un ascenseur, premier à adopter des uniformes très colorés et à imposer un dress code à ses clients. L’Oriental devient vite l’étape asiatique incontournable. Romantique, smart. Avec, au petit matin, le cortège parfumé et coloré des sampans chargés de fleurs, de fruits et de légumes, jusqu’à ce que le marché soit déplacé loin du cœur de la ville. Mais toujours, le soir, à l’heure des cocktails ambrés, les notes du trompettiste accompagnent le soleil couchant. Une atmosphère unique, romanesque, qui stimule la plume et l’imagination des auteurs, élisant domicile quelques jours ou quelques mois dans l’une des suites qu’ombrent les persiennes. Dans l’aile dite « des écrivains », leurs portraits en noir et blanc s’affichent, sobrement encadrés. Somerset Maugham, qui faillit y succomber, victime de paludisme, Oscar Wilde, Arthur Conan Doyle, Ernest Hemingway, George Orwell, Evelyn Waugh, Joseph Conrad, qui y écrivit son feuilleton Lord Jim, et bien plus tard John Le Carré mettant le point final à Comme un collégien. Certaines des suites signature portent leurs noms, évoquant, à travers des objets, leur style, leur mémoire, telle, parée de rose, la suite « Barbara Cartland », star britannique des romans d’amour… à l’eau de rose.

L’Oriental, grâce à l’achat d’un terrain près de l’ambassade de France, s’est doté d’une aile supplémentaire. © DR

Coincé dans une impasse aboutissant à la Chao Phraya, l’Oriental autorise l’arrivée discrète et sans vague des VIP. Aucune bousculade, pas de paparazzis lorsque le prince Charles accompagné de son épouse Lady Diana, précédés par la princesse thaïlandaise Sirindhorn, débarquent dans le lobby. Pas davantage lors de la venue de David Bowie, d’Elton John ou de Tom Cruise. Encore moins lors du passage du président américain George Bush ou d’un membre de la famille royale thaïe. L’hôtel pratique l’art de recevoir en toute discrétion et ses 1 300 employés, rompus à la courtoisie orientale, respectent l’anonymat de tous. Le Mandarin Oriental Bangkok se réinvente en permanence. Avec, il y a quatre ans, la restauration la plus importante de son histoire, pour que l’esprit avant-gardiste de l’historique Oriental perdure. Légendaire et prestigieux !

En février 1988, Lady Diana et le prince Charles, en voyage officiel, se rendent à l’Oriental avec Sirikit Kitiyakara, reine consort. © DR
Aujourd’hui, l’hôtel compte 358 chambres et 35 suites. Les plus convoitées sont celles dans l’aile d’origine, donnant sur le fleuve. © DR
1 300 employés, dont 80 % de Thaïs, rompus à l’art de recevoir, veillent sur le bien-être des hôtes. © DR

L’Europe à Bangkok : le rêve de Rama V

L’Oriental en 1907, rendez-vous de toute la gentry d’Orient et d’Occident. © DR

En 1868, lorsque Rama V succède à son père, la Thaïlande, jamais « occupée », ne compte aucun bâtiment de style colonial. Hormis quelques temples et résidences royales, Bangkok n’est qu’un enchevêtrement de maisons en bambou. Le roi, amoureux du Vieux Continent, mobilise un bataillon d’architectes de renom, français, italien, grec, allemand, etc., pour doter sa capitale d’une architecture où l’Art nouveau triomphe. Parallèlement, il offre de grands terrains aux représentations étrangères, les incitant à bâtir. La France hérite ainsi, le long de la Chao Phraya, de 7 500 m2, toujours siège de l’ambassade et de la magnifique résidence de l’ambassadeur, à l’aplomb du Mandarin Oriental, ex-Oriental. Point de départ rêvé pour découvrir l’étonnant quartier de Bang Rak.

Article paru dans le numéro 127 d’Hôtel & Lodge.

Inscription à la newsletter RESTOInscrivez-vous pour être informé en avant première et recevoir les offres exclusives !
Inscription à notre Newsletter Hôtel & LodgeInscrivez-vous pour être informé en avant première et recevoir les offres exclusives !

A découvrir