Salvador Dalí y résida avec ses guépards. Picasso y fêta son mariage avec Olga. Nombre d’auteurs s’y retirent pour écrire. Des cinéastes y posent leur caméra. Des actrices y fêtent leur dernier rôle. Depuis 205 ans, le palace de la rue de Rivoli, à Paris, joue la carte arty.
Texte Anne-Marie Cattelain-Le Dû
Décembre ! Les arbres des Tuileries frissonnent et dégoulinent. Les cyclistes, désormais seuls autorisés, avec les taxis, à circuler rue de Rivoli, se recroquevillent sur leur selle pour offrir moins de prise au vent glacial. Sous les arcades, les luminaires à l’ancienne du Meurice aimantent les passants. On s’engouffre dans le palace, pestant contre la lenteur des portes tambour. Changement d’atmosphère, d’époque presque, pénétrant de plain-pied, comme les premiers hôtes, en majorité britanniques, dans une bulle préservée, élégante, chaleureuse. Plus de 200 ans après son ouverture, tout est pareil mais tout a changé, avec délicatesse. La force de ce 5-étoiles de la Dorchester Collection : garder sa personnalité, résister aux modes qui banalisent les plus beaux hôtels du monde.
Charles-Augustin Meurice, venu de Calais, l’ouvrit avec son fils Louis-Augustin en 1818, imaginant une escale chic pour les Anglais en route vers la Côte d’Azur, dont ils furent les premiers estivants, ou vers Le Havre pour embarquer à bord des transatlantiques. Succès tel qu’en 1835, le Meurice déménage du 223 rue Saint-Honoré au 228 rue de Rivoli, son adresse actuelle, dans un immeuble flambant neuf. Raffinement extrême, « confort moderne », localisation rare : il jouxte tout à la fois le palais des Tuileries où réside Louis-Philippe, roi des Français, et les boutiques de luxe. L’aristocratie européenne emboîte le pas aux grands bourgeois, les intellectuels la suivent. Le Meurice, premier grand hôtel parisien, attire tous « les composants » de la haute société occidentale. En 1898, le Ritz ouvre. Pour coiffer au poteau l’hôtel de la place Vendôme, Arthur Millon, le nouveau propriétaire, achète le Métropole voisin. Il agrandit le Meurice, le restaure. Son architecte, prix de Rome, le pare du style Louis XVI, encore de mise aujourd’hui. L’hôtel de Millon devient plus que jamais le rendez-vous de la haute société européenne et des nomades du monde entier, côtoyant avec plaisir les Parisiens. Comme aujourd’hui d’ailleurs, où les habitants du quartier, les actrices et acteurs, les stylistes des maisons de mode alentour et les mannequins adorent célébrer un événement à la table doublement étoilée d’Alain Ducasse menée par le jeune chef exécutif Amaury Bouhours, qui dépoussière les classiques. Ou prendre un verre dans l’ambiance tamisée du Bar 228. Ou bien encore, entre deux expos à l’Orangerie ou au Jeu de Paume, proches, croquer au Dalí une pâtisserie de Cédric Grolet, chef ultra-doué et tatoué, ayant le premier joué à fond la carte Instagram. Le Meurice reste le cœur battant d’un Paris fantasmé, d’un Paris qui, soucieux de sa ligne, court aux Tuileries, d’un Paris épris de culture qui parcourt le Louvre, d’un Paris romantique qui contemple la tour Eiffel, la Seine et les étoiles du rooftop de la Belle Étoile, penthouse entièrement restauré du palace, à l’emblème de lévrier.
À l’honneur, l’artisanat d’art
Restaurer chambres et suites sans fermer le palace : un chantier d’envergure mené par tranches depuis 2019. Trois designers s’y attellent, Charles Jouffre, Margaux Lally, Luc Berger, privilégiant les métiers d’art et respectant le style xviiie. De Lison de Caunes, spécialiste reconnue en marqueterie de paille, à l’entreprise familiale de Gournay, dont tous les papiers peints sont réalisés à la main, des Ateliers Duchemin, vitraillistes depuis six générations, à Galatée Martin, artiste peintre qui, avec le studio Art in Situ, a imaginé les œuvres oniriques dans les couloirs, cette rénovation s’inscrit dans la continuité de l’histoire du Meurice.
Article paru dans le numéro 132 d’Hôtel & Lodge.