Les huit villas-lodges, récemment restaurées, en aplomb de la prairie inondée de décembre à juin par la Luangwa, affluent du Zambèze, entre brumes matinales et aurores de velours, semblent en apesanteur sur la brousse aux rondeurs ondulantes. Mouvantes impressions africaines. Uniques !
Texte Anne-Marie Cattelain-Le Dû
Hésiter, peser le pour et le contre. Dormir dans le confort douillet de sa vaste chambre ou grimper les quelques marches menant au rooftop pour se lover dans un vrai lit monté sur rails, enrubanné d’une moustiquaire, avec un ciel à la Soulages piqueté d’étoiles en guise de plafond. Allez, fi du léger frisson sous le vent accouru de la plaine, fi des grognements disgracieux de l’hippopotame, broutant sans distinction à quelques dizaines de mètres de son « chez-soi ». On extrapole en se lovant sous sa grosse couette, au grand air. On s’endort, rêvant d’un petit matin flamboyant en prise directe avec la brousse et ses habitants, comme les explorateurs britanniques qui, lors de la colonisation de la Zambie, à la fin du xixe siècle, s’aventurèrent sur les rives de la Luangwa, pour documenter ces terres ignorées, au hasard des 9 000 kilomètres carrés de ce qui devint le parc naturel de South Luangwa. Pari gagnant, malgré un sommeil en pointillés.
À 5 h 30, une lueur à l’est devance le jour. Sous le halo de sa lampe à pétrole, allumée à la hâte, on distingue peu à peu un ballet de silhouettes graciles. Les pukus, d’où le nom du lodge, antilopes pelucheuses rousses, quasiment endémiques, gambadent, insouciantes, ignorant leurs terribles prédateurs, de la hyène gueularde, vicieuse, au léopard, fin et discret stratège, se déplaçant avec la grâce d’un danseur étoile.
Perdue dans l’observation de ce monde en éveil, une heure plus tard, les rayons cuivrés dessinant un tout autre paysage signent l’aube d’une nouvelle aventure et d’un autre dilemme, après avoir rejoint son ranger près des flammes réconfortantes du feu de bois. Choisir de sillonner les alentours en 4 x 4 bien équipé pour parcourir, en ménageant ses passagers, ce dédale de pistes cabossées, opter pour le safari à pied ou préférer l’observation muette et sédentaire de la faune emplumée et à poil, d’un poste posé près d’un point d’eau ? Palabres à l’africaine, négociations. Finalement, on part motorisé avec l’assurance d’abandonner, lorsque la brousse tremblante blanchira sous le soleil, le véhicule couleur camouflage, pour inscrire ses pas dans ceux de son guide, armé au cas où, et tenter d’apercevoir à découvert ou planqué derrière des buissons, félins, canidés, rapaces, de s’offrir quelques frayeurs, lorsque signalé par le tremblement de la terre et un nuage de poussière, un troupeau d’éléphants surgit de la forêt, de s’inquiéter davantage encore lorsque pointe une meute de lycaons, sorte de gros chiens aux crocs impressionnants, dont l’espèce se raréfie.
Cinq heures plus tard, on revient épuisé mais comblé avec des scènes et des images engrangées dans sa mémoire et quelques-unes stockées dans son iPhone ; pour conter ses aventures à ses proches. Certes, point de léopard, hormis ses empreintes imprimées dans le sable suivies sur plusieurs mètres avant qu’elles ne se perdent mais la cavalcade en pleins et en déliés d’un couple de girafes de Thornicroft, sous-espèce ne vivant qu’ici, les regards étonnés, figés d’une maman zèbre de Crawshay et de son poulain, eux aussi n’habitant que sur ce territoire. Et encore des centaines d’oiseaux, des buffles pataugeant dans la gadoue d’un gué, des lions fatigués, siestant en vrac. Un « butin » pacifiste qu’on se repasse en boucle en savourant le brunch délicieux dans le patio grand ouvert sur la plaine. Quelques meubles design, une balancelle, des œuvres d’art glanées alentour, des masques sans prétention d’antiquité, des peintures aux teintes terreuses, des paniers en osier comme ceux des villageoises. Un camp de brousse, un camp de safari sans clinquant, sans chichis. Juste chic.
En décembre, la pluie qui gonfle déjà, depuis quelques semaines, le Zambèze en RDC et en Angola arrosera enfin la Zambie assoiffée. Et le fleuve bienfaiteur inondera la plaine. Alors le Puku Ridge changera du tout au tout. Passant des teintes délavées d’une saison sèche trop longue à la palette mouillée, en dégradés de verts et de bleus. Dormira-t-on encore sur son rooftop, à la belle étoile ? Question de goût, question de sensibilité aux atmosphères saturées d’humidité !
Un parc et un lodge vertueux
En 2017, Taleb Rifai, secrétaire général de l’Organisation mondiale du tourisme, institution des Nations unies (rebaptisée depuis ONU Tourisme), en déplacement dans le parc national de South Luangwa, l’a déclaré parc engagé dans le tourisme durable, le premier au monde, veillant à la préservation de la faune et de la flore, mais surtout impliqué auprès des communautés locales. La famille Cumings, propriétaire du Puku Ridge, s’inscrit dans cette démarche, sensible à la conservation et aux populations : des matériaux de construction à l’utilisation de l’énergie solaire, de l’attention particulière à la faune, à l’emploi et la formation de personnel autochtone.
Chichele Presidential, un lodge historique
Hissé sur une colline, surplombant et jouxtant le Puku Ridge, le Chichele Presidential Lodge accueille ses premiers hôtes en cette fin d’année. Privilège de le visiter en avant-première alors qu’ouvriers et artisans peaufinent les 10 suites, chacune avec piscine privée. Construit en lieu et place du pavillon où le premier président de la Zambie, Kenneth Kaunda, séjournait régulièrement : un beau symbole, l’année des 60 ans de l’indépendance de la Zambie et du centième anniversaire de la naissance de Kenneth Kaunda. Le studio d’architecture Jack Alexander et l’agence de design Fox Browne Creative ont veillé à mettre en valeur, dans ce lodge très contemporain, des éléments historiques, conservant des éléments forts, telles la cheminée, quelques pièces de mobilier, des photos.
Voir sans être vu
Un abri de toile, dit cache ou store, aménagé confortablement, en un coin stratégique, en dessous d’un pont donnant sur un vaste point d’eau, permet aux photographes amateurs et professionnels de saisir au plus près, sans se dévoiler et sans les perturber, les animaux, en particulier au lever et à la fin du jour, voire de nuit pour les plus courageux.
Article paru dans le numéro 137 d’Hôtel & Lodge.