Japonais, britanniques et américains composaient l’essentiel des trois millions de visiteurs annuels. En leur absence à cause de la pandémie, le Mont, classé au Patrimoine de l’Unesco depuis 1979, retrouve une quiétude quasi religieuse. Et sa beauté minérale.
Par Anne-Marie Cattelain Le Dû
Serrés, en grappes, ils gravissaient les ruelles pavées du Mont-Saint Michel, harangués par les marchands du Temple, puis arpentaient le chemin de ronde, mitraillant sans relâche le sable et la Manche. La Covid a stoppé net cette invasion au grand dam – et ça se comprend – des guides et des commerçants. Les 14 immenses parkings construits à la va-vite cachés par quelques haies sont vides. Vides aussi, les restaurants-usines de centaines de places implantés côté campagne pour sustenter cette manne touristique. À malheur, bonheur est bon, le Mont redevient fréquentable, mieux, admirable.
Un site unique au monde, sur lequel les hommes doivent veiller pour que, marée après marée, il ne s’ensable pas. © Emmanuel Berthier
La passerelle contemporaine et le pont-levis de la porte du Roy franchis, il dévoile aux flâneurs non bousculés ses maisons de guingois du xve au xviie siècle, ses saints en faïence ou sculptés cachés de-ci de-là. Aux courageux, défiant l’à-pic des marches, l’abbaye réserve ses mystères.
Construite au xie siècle sur un plateau rocheux au-dessus de Notre-Dame-sous-Terre, elle fut bénédictine sur ordre de Richard Ier, duc de Normandie. Aujourd’hui, une communauté religieuse de 14 moniales et moines des Fraternités monastiques de Jérusalem l’anime, et un prêtre assure les offices. Une petite heure, hors des messes, saluts et vêpres, permet d’appréhender l’ensemble de cette construction labyrinthique et son histoire. On évite de rebrousser chemin par les ruelles marchandes bordées de magasins de souvenirs sans intérêt.
Prendre le chemin de ronde pour embrasser le paysage côté normand et côté breton. © Emmanuel Berthier
Certains entrepreneurs, conscients de ces « verrues », viennent de fonder une association. Son secrétaire, François Ridel, jeune restaurateur, affirme vouloir créer une charte pour repenser les devantures, proposer des produits de meilleure qualité, locaux en majorité, puis animer intelligemment le Mont pour redorer son blason qu’entachent tous les panneaux informatifs en japonais, en anglais, accrochés sur les pierres séculaires.
Pour redescendre, donc, dérangeant quelques mouettes rêveuses, on emprunte les remparts, découvrant la baie, envoûté par les bleus marbrés de sable taupe et le rocher de Tombelaine, semblable à un gros cétacé.
Attention, la marée remonte très vite et les sables mouvants ne sont pas une légende : mieux vaut partir avec un guide. © Marc Lerouge CDT50
Elle paraît bien accessible par la grève, cette masse granitique, classée Monument historique, mais les 3 kilomètres de sable et de pâturages la séparant du Mont-Saint-Michel sèment quelques embûches sous les pas des marcheurs non avertis. Les hauteurs des marées, leur vitesse, les sables mouvants en surprennent plus d’un, parti sans guide naturaliste connaissant le terrain.
Tombelaine est un sanctuaire, refuge d’oiseaux marins rares : tadorne de Belon, huîtrier pie, héron garde-bœufs. Les colverts, troglodytes, accenteurs mouchets, linottes mélodieuses y nidifient. Le phoque veau-marin s’y prélasse. Et tout autour, les moutons de prés-salés à la tête noire se régalent d’herbe gorgée d’eau de mer.
Derrière sa façade discrète, l’abbaye grandiose conte 1 300 ans d’histoire. Réservez-lui une bonne heure de visite. © Marc Lerouge CDT50
À l’opposé de Tombelaine, le sable s’étend sans limite jusqu’à la Bretagne, jalouse d’avoir perdu le Mont par caprice d’un fleuve côtier dont le lit, lors d’une crue, changea son cours. « Le Couesnon en sa folie a mis le Mont en Normandie, mais lorsqu’il reprendra raison, le Mont redeviendra breton », assure un dicton, berçant d’espoir les Celtes.
Loin de ces querelles de clochers, quelle que soit l’heure, quel que soit le temps, qu’il pleuve, qu’il vente, que le soleil brille ou non, on rêve d’être comme saint Michel perché à 160 mètres sur sa flèche de cuivre, jouissant en exclusivité de la plus belle vue du monde et du spectacle de la mer accourant « à la vitesse d’un cheval au galop » pour encercler le Mont, phénomène unique en Europe.
L’Auberge Sauvage : escale douce
Un deuxième enfant né en mars 2020, l’envie de vivre autrement… fini Paris, direction la Normandie, à 8 kilomètres du Mont-Saint-Michel. Tombés amoureux d’un presbytère du xvie siècle entouré de terres, le chef Thomas Benady, remarqué à Orties, rue Rodier à Paris, et sa compagne Jessica Schein, l’achètent et se fixent à Servon, 275 habitants. Leur intention : offrir gîte et couvert de qualité en ce haut lieu touristique qu’est la baie, où la médiocrité prévaut en la matière. Le ralentissement du flux touristique, même s’il les contrarie, ne les freine pas. Ils l’abordent comme l’opportunité de « régler » leur auberge, de prendre leurs marques.
En décembre dernier, c’est parti, les premiers clients occupent les trois chambres prêtes, Persiflore, Berce et Mélisse. Trois autres devraient suivre cet été. Feu de cheminée qui embaume, bouquets de fleurs sauvages, meubles chinés métissés d’objets design, textiles naturels… une sobriété chaleureuse qui enchante les clients.
Pour preuve, certains jouent déjà les habitués. La cuisine de Thomas, même servie en chambre, voire proposée en panier pique-nique, calme les faims attisées par les balades en bord de mer. Fidèle à sa philosophie, le chef puise ses idées dans le terroir du Mont pour créer « une cuisine locale, engagée, traçable et identitaire ». Et ne propose que du fait maison, même le pain, la charcuterie et le vinaigre. Qui croque dans sa pizza végétale, déguste ses maquereaux, son cochon confit ou ses coquilles Saint-Jacques comprend le sens du mot « vrai » !
Carnet d’adresses
Article publié dans le numéro 115 d’Hôtel & Lodge