À Matera, dans le sud de l’Italie, ville qui a servi de décor au dernier épisode James Bond Mourir peut attendre, la vie s’écoule paisiblement au gré des ruelles et des maisons troglodytes. Les chambres de l’Aquatio occupent une poignée d’entre elles : des cocons ouatés dans un univers immaculé, presque irréel.
Par Céline Baussay
L’histoire de Matera est liée à ses Sassi (« cailloux » en italien) : deux quartiers entiers creusés dans la roche depuis l’Âge de pierre et en particulier au Moyen Âge. L’Aquatio Cave Luxury Hotel & Spa, inauguré l’été dernier, est un hôtel éclaté en plusieurs maisons-grottes dans l’un d’eux, le Sasso Caveoso. Cosimo Dell’Acqua, architecte de Matera, rompu à l’exercice et aux contraintes propres à la ville, a mis neuf ans pour assainir et exploiter au mieux ces espaces improbables et complexes.
Il a notamment réussi à installer et surtout à rendre invisible un système domotique sophistiqué de climatisation et de contrôle de l’humidité. Dans les 35 chambres et suites, la porte d’entrée s’ouvre sur l’extérieur et empêche toute sensation de claustrophobie. La lumière naturelle est bien là, mais ne suffit pas. De multiples points d’éclairage ont donc été prévus en complément, dont des spots incrustés dans le sol, un peu trop éblouissants d’ailleurs… Dommage.
L’architecte d’intérieur florentin Simone Micheli a dessiné pour l’hôtel une collection de mobilier exclusive et sur mesure. Minimalistes, tous blancs, conçus tout en rondeur sans aucun angle droit, les étagères, tables et sofas se fondent dans le décor, soulignent les courbes irrégulières de la pierre, ses nuances de couleurs claires et chaudes. Même les écrans TV, intégrés dans des miroirs circulaires accrochés au mur ou dans des panneaux pivotants ovales, ne heurtent pas le regard. La seule fantaisie vient des lampes de chevet en métal tarabiscoté.
Aux beaux jours, la cour intérieure devient lieu de rencontre, de convivialité entre les hôtes de l’hôtel ou les clients de passage qui attendent une table au restaurant. Au calme, entourée de murs de pierres, elle est propice aux bavardages et aux confidences. Autrefois, c’est aussi dans ces endroits en plein air que les habitants des Sassi se retrouvaient à la fraîche pour parler des récoltes, de la famille et des histoires de voisinage…
Un spa dans les citernes
Les salles souterraines les plus anciennes, une série de citernes datant du IXe siècle, ont été transformées en un spa de 500 m2 avec sauna, hammam, trois cabines de soins et massages et une salle de repos dont un grand miroir démultiplie les proportions. Le plus vaste espace est devenu une piscine très agréable, avec des hydrojets et des éclairages bleus sur la pierre qui font écho à la couleur de l’eau, chauffée à 32°C. Là encore, l’aménagement relève de la gageure :
le dispositif de déshumidification est dissimulé dans une haute sculpture en bord de bassin.
Trois boutique-hôtels dans la roche
Corte San Pietro
Labellisé Les Collectionneurs, cet hôtel occupe plusieurs maisons du XVIe siècle joliment restaurées, dans un rayon de 20 mètres autour du charmant patio central. Notre chambre préférée parmi les treize est la N°17, dans une ancienne église. La curiosité des lieux : huit citernes souterraines mises au jour lors des travaux de rénovation. L’une d’elles accueille une installation artistique étonnante qui joue sur les effets de miroirs brisés et de lumière jaillissant du sol. Elle fait partie prenante d’un projet global de Matera 2019, Matera Alberga, qui invite un artiste à imaginer une œuvre in situ dans six hôtels de la ville.
Palazzotto Residence & Winery
Ouvert depuis deux ans, cet hôtel organisé autour d’une cour pavée possède dix chambres aménagées dans un petit palais et dans des grottes du Sassi Barisano par la propriétaire, architecte de métier, Katia Vitale. C’est là aussi que se trouvent les espaces communs, salons, table d’hôtes, bar à vin bio, particulièrement réussis avec leurs murs de pierre blonde, leur lumière tamisée et leur belle hauteur sous plafond.
Sextantio, Le Grotte della Civita
Concilier ambiance monacale et luxe contemporain, c’est le défi que s’est lancé l’entrepreneur, hôtelier et philanthrope italo-suédois Daniele Kihlgren voilà déjà dix ans. Il a créé 18 chambres dans des grottes abandonnées et prévoit d’en ouvrir 12 autres d’ici à 2021. Avec un même parti-pris d’authenticité : arches de pierre et portes en bois d’origine, sol cabossé laissé tel quel. Ici, les repas sont servis dans une église désacralisée ou en terrasse avec la plus incroyable des vues sur le parc de la Murgia. Un membre de Design Hotels tout à fait unique en son genre.
Carnet pratique
De l’ombre à la lumière
Difficile d’imaginer, en séjournant aujourd’hui dans ces très beaux hôtels troglodytiques et en se baladant dans les ruelles de Matera, parfaitement restaurées, que la cité de Basilicate, si grandiose entre ses deux vertigineux canyons, était considérée au milieu du XXe siècle comme « la honte de l’Italie ».
L’expression a été utilisée par le président du Conseil d’alors, Alcide De Gasperi, pour évoquer les maisons-grottes des Sassi, creusées à flanc de ravin, surpeuplées, obscures, insalubres, percées de citernes et réchauffées par les fosses à fumiers.
Certaines datent du paléolithique : une continuité de présence humaine depuis des millénaires qui fait d’ailleurs de Matera l’une des plus anciennes villes du monde avec Alep en Syrie et Jéricho en Cisjordanie… Dans les années 1950, tous les habitants ont été relogés dans des HLM en périphérie.
Totalement abandonnés pendant 20 ans, les Sassi ont doucement repris vie quand des artistes s’y sont installés. Leur décor biblique est apparu dans des films tournés sur place, dont L’évangile selon Saint Matthieu de Pier Paolo Pasolini (1964) et La passion du Christ de Mel Gibson (2004). Mais sa notoriété a grandi surtout depuis qu’elle est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco (1993) et qu’elle a été désignée capitale européenne de la culture 2019.
Nos deux restaurants préférés
Dimora Ulmo
Exception à la règle, ce nouveau gastro n’est pas situé dans une grotte, mais dans un magnifique palais du XVIIIe, décoré d’œuvres d’art contemporain et complété par une vaste terrasse avec vue. En cuisine, deux anciens de l’Osteria Francescana, le restaurant du célèbre chef Massimo Bottura, 3 étoiles Michelin, à Modène. Une référence absolue.
Vitantonio Lombardo
Superbe espace minimaliste creusé dans le tuf, au pied du Sasso Barisano, ce restaurant (1 étoile Michelin) est tenu par un chef originaire de Basilicate, de retour au pays depuis peu, aussi jovial que talentueux. À tester en priorité, l’étonnante pizza noire ou le menu « mat.era » inspirée par la ville des Sassi.
Y aller
En avion : Bari et Brindisi sont les deux principaux aéroports des Pouilles, celui de Bari est le plus proche de Matera (une heure de route). Durée du vol : environ 2h20.
Air France propose de nombreuses solutions de correspondance pour les clients en provenance d’autres villes françaises. À bord, les passagers peuvent désormais profiter d’une offre de divertissement gratuite sur leurs tablettes et smartphones.
Brindisi, deuxième aéroport des Pouilles, est desservi depuis Paris-Orly par Transavia, à raison de 2 vols par semaine.
Avec Les Maisons du Voyage, spécialiste de l’Italie et des voyages sur mesure. Les conseillers connaissent parfaitement les destinations, ils peuvent concevoir des voyages sur mesure ou proposer des circuits clés en main : un autotour de 8 jours/7 nuits en Italie du Sud, un circuit de même durée mais plus axé sur Matera ou, plus original, un tour en Vespa de 5 jours/4 nuits au guidon du mythique scooter italien.
À lire
« Italie en privé » : la botte, mise en mots et en 300 photos, plus belles les unes que les autres. L’auteur, Herbert Ypma, livre ses adresses secrètes, ses découvertes, notamment dans les Pouilles et à Matera. Ed. du Chêne.
Article paru dans le numéro 106 d’Hôtel & Lodge