Tanger l’ensorceleuse

A Tanger, tout peut arriver, les plus belles surprises, les plus étonnantes rencontres, les plus surprenantes découvertes. Port de tous les possibles entre Atlantique et Méditerranée, la ville marocaine devient tentaculaire.

Par Anne-Marie Cattelain Le Dû

Ici, les vagues agitées de l’Atlantique contrarient la houle méditerranéenne. Ici, au nord extrême, Tanger se pose comme une ébauche du continent africain. Troublante, secrète, aimantant les aventuriers, les marins, les intellectuels, les trafiquants.

Les Tangérois adorent se promener à l’ouest de leur ville, au cap Spartel, dominant le détroit de Gibraltar. © Office national marocain du tourisme

Ces personnages ont bâti un mythe à la hauteur de la légende colportée par les peintres et écrivains, dont Paul Bowles auteur d’Un thé au Sahara, qui voyait Tanger comme « the dream city ». « Paul Bowles, explique l’écrivain Zoubeir Ben Bouchta, a été un passeur de culture. Il a initié aussi bien des gens cultivés que des analphabètes à de nouvelles expressions artistiques, les incitant à puiser dans leur héritage les contes, les peintures, les chants, les musiques rurales et citadines. »

Des bâtiments datant de la première moitié du xxe siècle, souvent délabrés, témoignent des présences occidentales successives.

Au début du xxie siècle, désertant Marrakech, les VIP prennent leurs marques à Tanger. Au plus près de l’eau, de la lumière nacrée que filtrent les nuages, envoûtés par la sensualité, l’érotisme, les parfums que charrie le chergui, vent oriental frais. Après avoir été privée de subventions par le roi Hassan II, désormais choyée par Mohammed VI, Tanger rattrape son retard.

Au cœur de la médina, la mosquée Sidi Bou Abid.

Il n’est que de se hasarder à l’est, du côté de Tanger Med, nouveau port dont le deuxième terminal, signé Jean Nouvel, a accueilli en janvier ses premiers passagers. Med, tel que l’appellent les Tangérois, dessert plus de 200 destinations. Des millions de passagers y transitent, des containers y débarquent et repartent vers toutes les latitudes.

Place du 9 avril, le Rif, désormais cinémathèque dédiée à la promotion des films marocains.

Tanger ne cache pas son ambition de devenir le plus grand port d’Afrique. Les Tangérois – plus d’un million aujourd’hui –, attachés à leurs quartiers teintés du meilleur de l’Occident, leurs dunes cachant des tombeaux de marabouts, jonglent entre passé composé et essor fulgurant. Jusqu’à quand ? Question que se pose Stéphanie Gaou, qui a ouvert Les Insolites, librairie-galerie : « Si je me réjouis que, grâce aux travaux de rénovation de la médina, ses habitants bénéficient de l’eau courante, cela me désole de constater qu’on ampute le quartier de ses charmes. Désormais, ses façades trop blanches, trop lisses, ne livrent aucun secret. Ce qui m’a ensorcelée à Tanger, c’est son côté de bric et de broc, borderline. Tanger ne comble pas nos fantasmes, répond rarement à nos désirs, mais nous retourne comme un gant. »

La place du Grand Socco (grand souk), jonction entre la médina restaurée et les nouveaux quartiers.

Tanger contée par ses habitants

Stéphanie Gaou, libraire

« Mon objectif avec Les Insolites : créer un lieu non académique, pour que tout un chacun y entre regarder les livres. En douze ans, explique Stéphanie Gaou, j’ai attiré une clientèle de plus en plus jeune. Un bonheur ! Quand je quitte ma librairie, je flâne du côté de Tanja Balia, fief des vanniers, seul artisanat de Tanger. Et le dimanche, je déjeune Chez Abdou, élégant monsieur de 89 ans proposant des plats à partager, avec la plage à perte de vue. (Forêt Diplomatique, km 17, NdlR). Recommandation ultime, lire : Tanger et autres Marocs, de Daniel Rondeau, et Hécate et ses chiens, de Paul Morand, un rien subversif, à contre-courant, mais qui reflète l’esprit de Tanger. »

Zoubeir Ben Bouchta, écrivain

L’auteur des pièces La Valise, Le Givre ou encore La Pieuvre, brosse sa ville en mots tendres : « Tanger, c’est mon enfance en noir et blanc, ses fêtes, ses rires, ses larmes, les émeutes étudiantes des années 1970, les façades Art déco délabrées, les salles de théâtre et de cinéma à l’abandon. Son histoire est celle d’une déchéance, du départ forcé des Espagnols, Portugais, Italiens, de juifs marocains. Mais grâce à sa musicalité, ses tonalités contrastées d’ombre et de lumière, c’est une source d’inspiration. Nostalgie et critique habitent mes personnages comme elles habitent les Tangérois, qui s’adaptent aux métamorphoses, se réjouissant de la renaissance d’une vie culturelle. Pour approcher mon Tanger, je vous invite à longer le plateau du Marshan, avant de descendre vers l’oued Lihoud pour remonter la colline Sidi Masmoudi et contempler les belles demeures dans la forêt ; et à travers les pistes boisées surplombant le détroit, à gagner le parc Donabo. Sur la route reliant Rmilate et le cap Spartel, admirez, depuis le village de Mediouna, la côte Atlantique jusqu’à la colline Briech. »

Hicham Bouzid, directeur artistique

« Mon idée, en lançant Think Tanger avec Amina Mourid, était d’imaginer un lieu de réflexion, de création, d’action collaborative pour appréhender les mutations de la ville, se les approprier au lieu de s’en désoler, confie Hicham Bouzid. Plate-forme culturelle, Think Tanger raconte le quotidien des Tangérois à travers l’art, l’artisanat, des émissions de radio, des films, des ateliers, etc. Multiple, Tanger ressemble aux images d’un kaléidoscope qui s’entrechoquent, vivantes, inspirantes, contrastées. Comme son marché aux puces de Casa Barata. Le passé de Tanger s’étale à même le sol. J’y glane, le dimanche, des merveilles avant de m’installer à la terrasse du Gran Café de Paris, place de France, ouvert en 1927. The Telegraph le classe parmi les 50 meilleurs cafés au monde dans la catégorie “Spot of movie magic”. Puis, pour me désintoxiquer, je vais dans le parc de Perdicaris, à dix minutes du cœur palpitant. Soixante-dix hectares au-dessus de la mer que gèrent les Eaux & Forêts, veillant à sa biodiversité. »

Hôtels de caractère : vision grand angle

Pour vivre au rythme tangérois, trois lieux, trois ambiances, mais un sens commun de l’accueil, de la générosité et de la convivialité.

Saba’s House, riad fashion

Propriétaire de Saba’s house, Roya Lamine s’est investie dans la mise en scène de son riad 5-étoiles aux côtés de l’architecte Amine Aouad et du décorateur Taleb Lahlou. « Franco-tunisienne, j’ai adopté la ville natale de mon mari. Le riad s’élève dans la kasbah, où les ancêtres de ma belle-famille tenaient boutique. Son rooftop surplombe l’ancienne médina, la baie de Tanger, le détroit de Gibraltar et les côtes espagnoles. » Outre le style Art déco rappelant les belles heures de Tanger, Roya dévoile à ses hôtes d’autres facettes de Tanger : « Grâce à mes relations, j’organise des visites chez des collectionneurs, des artistes, dans des galeries. J’aime offrir le meilleur du Maroc, telles les spécialités du petit déjeuner venues des montagnes et des fermes alentour, mais aussi les produits de courtoisie à base de fleur d’oranger. Le soir, lorsque je rejoins mes hôtes autour de la cheminée du salon, dans le piano-bar ou le salon marocain, je leur livre ma ville, mes adresses, comme à des amis. »

61 rue Cheikh Mohammed Ben Seddik, place Amrah, kasbah.

Les spots préférés de Roya

Shopping
New Tangier, de la designer Kenza Bennani, ex-styliste de Jimmy Choo. 6 rue Imame Soufiane Taouri.
Maison Alli, du designer Lionel Bésiau : vêtements, accessoires et objets fabriqués dans trois ateliers d’artisans tangérois. 1 rue du Palmier.

Art
Galerie Conil. Plusieurs adresses dans la kasbah et la médina. La principale : 7 rue du Palmier.

Bonnes tables
El Morocco Club, restaurant en terrasse et piano-bar en sous-sol. Place du Tabor, kasbah.
Côté Sud, face à la mer, excellents poissons et tapas. Plage Bakacem.

Hôtel Nord-Pinus Tanger 

Notre chouchou, un boutique-hôtel dans un ancien palais avec la plus belle vue de Tanger sur l’océan Atlantique, la Méditerranée, les côtes espagnoles. En prime, la proximité de la plage la plus sexy, Ain Dalia. Quatre suites, une chambre et une petite maison, toutes au calme et décorées avec un goût exquis. On aime réserver l’« Ocean View » parce qu’on ne se lasse jamais de scruter le grand large. Mais lorsqu’elle est prise, on se rabat sur « Le chameau s’en fout », pour le nom et le style.
11 riad Sultan, kasbah.

Le Mirage

Dans ce palace mythique de 26 chambres dont cinq suites, près des grottes d’Hercule, descendait la comédienne Mireille Darc, confiant alors : « Je suis chez moi, toujours dans la même suite dont la terrasse semble accrochée  au-dessus de la mer. » Et dans le livre d’or, l’écrivain Tahar Ben Jelloun a noté : « Si Le Mirage était une histoire, elle serait contée par un sage venu se reposer de ses travaux et oublier la lourdeur des hommes… Si Le Mirage était un rêve, il serait le rêve dont nous rêvons, un espace limpide où le bleu et le vert se rencontrent sans faire de bruit. »

Osky’s, bienvenue à la maison

Oscar, débarqué du Sénégal il y a plus de 20 ans pour poursuivre ses études, dédie sa table à la ville et ses habitants.

« J’ai toujours rêvé d’ouvrir un restaurant qui créerait l’illusion d’être invité dans le salon d’un ami pour passer un bon moment, confie Oscar Ama Badji. En souvenir de mon enfance sénégalaise, je l’ai appelé du surnom que me donnaient mes parents, Osky. » Cadre cosy d’une bibliothèque de demeure bourgeoise, textiles doux… Salvador Castillo, décorateur espagnol, a retranscrit les envies d’Oscar. L’atmosphère Art déco sied à la clientèle, melting-pot de nationalités, et souligne les plats signature embaumés d’influences d’ici et d’ailleurs. « Je tiens beaucoup à ce métissage qui résume ma philosophie et l’esprit de Tanger. Le houmous façon Osky’s s’acoquine de légumes croquants. Le risotto aux gambas se colore de riz noir venere. La souris d’agneau s’émoustille d’épices de l’Atlas et de figues caramélisées. » Fruits, légumes, viandes et poissons proviennent de petits producteurs livrant chaque jour pour garantir une cuisine 100 % fraîcheur. Et les becs sucrés s’attablent juste pour savourer un dessert, avec en majesté le millefeuille au fromage beldi et crème de citron.
41 avenue de la Résistance.

Les balades d’Oscar

« Depuis 20 ans, mon cœur palpite au rythme de Tanger. Et si parfois la tension accélère les battements de mon cœur, je prends ma voiture pour gagner, à 20 kilomètres, le restaurant L’Océan, sur la plage Sidi Kacem, avant de marcher sur la plage d’Achakar, entre les grottes d’Hercule et le cap Spartel, jusqu’à ce que le soleil disparaisse. Ici, ses couchers sont les plus merveilleux du monde. »

Carnet de voyage

Se rendre à Tanger
Vols directs depuis Paris-Orly avec Transavia (3 vols par semaine) ou Royal Air Maroc (4 vols hebdomadaires) et depuis Paris-CDG avec Air France (jusqu’à 3 vols par semaine), qui lance la ligne le 3 juin 2021. Temps de vol : environ 2 h 50. Reprise des liaisons entre la France et le Maroc au plus tôt le 21 mai 2021.

S’informer
Office national marocain du tourisme : visitmorocco.com/fr

Article paru dans le numéro 116 d’Hôtel & Lodge

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