Singapour, objet de curiosité

Oubliée, la crise sanitaire ! La cité du Lion remonte en scène, plus flamboyante que jamais. Et les projecteurs du monde entier semblent être braqués sur cet épicentre asiatique en mouvement perpétuel. Art, culture, architecture, gastronomie et écologie : Singapour joue sur tous les tableaux, prouvant qu’elle vaut bien plus qu’une escale.

Texte Marion Zipfel

À l’image des pilotes de Formule 1 qui s’élancent sur son circuit la nuit tombée, Singapour vise toujours la pole position. Regarder droit devant, anticiper : une obsession qui remonte à 1965, lorsque l’homme politique Lee Kuan Yew entend transformer le comptoir colonial situé à la pointe de la péninsule malaise en une ville indépendante et dynamique. Mais comment survivre lorsque l’on n’est qu’un confetti de seulement 700 km2 sans ressources naturelles ? En innovant et en se renouvelant sans cesse. Résultat : en quelques décennies, Singapour s’est imposée comme l’une des cités les plus prospères au monde, et est devenue une destination à l’incroyable énergie, attirant les talents du monde entier.

Même si de nouveaux gratte-ciel ne cessent de pousser, le Marina Bay Sands, avec
ses trois tours et sa piscine posée sur le toit, demeure la star de la skyline de Singapour. © Shutterstock

Sans même sortir de l’aéroport, le visiteur prend toute la mesure de cette obsession d’aller toujours plus loin. Singapour ne se contente pas d’avoir le meilleur aéroport au monde, elle en fait une destination à part entière avec sa nouvelle attraction : Jewel. Inauguré en 2019, ce terminal logé sous un dôme de verre et d’acier abrite notamment une cascade de 40 mètres de hauteur tombant au milieu d’une forêt intérieure de milliers d’arbres et de plantes. Tout simplement spectaculaire. Un joyau signé Moshe Safdie, starchitecte israélo-canadien dont le nom est connu de tous les Singapouriens puisqu’il est également le père de l’une des icônes architecturales de la ville : Marina Bay Sands, avec sa piscine géante perchée à 200 mètres de haut. De là, on embrasse les audaces architecturales de cette mégacité ouverte sur le monde, à l’entrée du détroit de Malacca. Une situation exceptionnelle et stratégique au cœur des routes maritimes qui n’échappa pas à Thomas Stamford Raffles, employé de la Compagnie britannique des Indes orientales, lorsqu’en 1819, il débarqua sur celle que l’on appelait alors Temasek. C’est lui qui y établit un port franc, attirant des immigrants chinois, malais, indiens et arabes, qui donnèrent naissance à une société multiculturelle. Il suffit encore aujourd’hui de déambuler dans les rues de Chinatown, Little India ou Kampong Glam pour comprendre qu’ici, le melting-pot n’est pas une expression vide de sens. 

Si elle est souvent surnommée la Suisse de l’Asie – référence à son insolente réussite économique et à la propreté de ses rues –, Singapour ne peut se résumer à son PIB. C’est un laboratoire où la ville de demain s’invente chaque jour, une ville-jardin où la nature est omniprésente, une cité où l’art, la culture et le design sont de nouvelles priorités. En janvier prochain y sera lancée une foire d’art, Art SG : un événement inédit pour les artistes et les collectionneurs du monde entier. C’est aussi un endroit pluriel où l’on peut commencer sa journée par un trek dans la forêt primaire à Bukit Timah, visiter un temple chinois, enchaîner par un temple hindou, déjeuner d’une soupe pour une poignée de dollars dans un food court, découvrir l’art moderne du Sud-Est asiatique à la National Gallery, visiter le plus haut potager urbain au monde (280 mètres) sur le toit de CapitaSpring, nouvelle tour en plein cœur du centre d’affaires conçue par le célèbre cabinet danois BIG (Bjarke Ingels Group), ou encore flâner dans les cafés et boutiques de Katong, à l’est de la ville, le nouveau quartier qui monte. En mouvement, toujours.


Témoins privilégiés

Artiste, photographe, journaliste, Singapouriens de naissance ou de cœur : ils révèlent tous une facette différente de leur ville.

Hélène Le Châtelier, artiste

© Anne Valluy

En tant qu’artiste, j’explore l’influence de la mémoire sur nos intimités contemporaines. Singapour, ville aux passés multiples dus aux origines si diverses de sa population, est un terrain de jeu fantastique. Après plusieurs années, je reste fascinée par ses panoramas architecturaux. J’aime autant rejoindre mon atelier situé dans un quartier industriel du nord de l’île que passer du côté vintage de Tiong Bahru aux gratte-ciel du Central Business District (CBD), déambuler entre les shophouses peranakan de Chinatown ou de Joo Chiat pour finir dans les senteurs de Little India ou dans les rues de Kampong Glam en sirotant un kopi (le café local, NdlR) ou un lime juice(jus de citron sucré, NdlR). Entre mégapole et ville-jardin, la cité-État offre une vie douce où les arbres sont rois. Mais qu’on ne s’y trompe pas, derrière la sérénité et l’organisation se cache une grande complexité qui offre un champ de découverte illimité… »

EVELYN CHEN, « academy chair » (responsable de vote) en Asie du Sud-Est pour les World’s 50 Best Restaurants (le classement 50 meilleurs restaurants du monde)

© Capella Hotel Singapore

Je suis née et j’ai grandi à Singapour. Mes premiers souvenirs culinaires sont indissociables des hawker centres (des stands de restauration bon marché, NdlR). En tant que journaliste gastronomique, j’ai la chance de tester toute la diversité des cuisines de Singapour, mais je ne peux pas me passer de mes toasts au kaya (une épaisse confiture au lait de coco, NdlR) au Hong Lim Food Centre, ou de ma soupe Laksa (au lait de coco et curry, NdlR) à Sungei Road. Vous pouvez dîner chez les plus grands chefs de la cité-État, mais pour une expérience unique et une vraie plongée dans la culture locale, il faut impérativement aller dans l’un de ces hawker centres. Comment choisir parmi les nombreux stands ? Allez-y à l’heure du déjeuner et installez-vous là où la queue est la plus longue. C’est assurément une bonne adresse. »

DARREN SOH, photographe d’architecture

© DR

Singapour est incroyable pour un photographe d’architecture. Par son territoire limité, elle impose aux architectes une innovation constante. Celle-ci ne s’applique pas uniquement aux tours du centre d’affaires ou aux immeubles luxueux, mais également aux logements sociaux qui font sa fierté. Pour moi, les immeubles les plus remarquables de Singapour sont le Golden Mile Complex, icône de l’architecture brutaliste, The Pinnacle@Duxton, un impressionnant complexe de logements sociaux de 50 étages avec des jardins suspendus, et enfin CapitaSpring, la plus haute de toutes les tours. Depuis le 51e étage, la vue sur la ville est à couper le souffle. »


Nuits parfaites

Du palace au boutique-hôtel, quatre adresses, quatre valeurs sûres pour remonter le temps sans tomber dans la nostalgie.

01 – RAFFLES SINGAPORE, entrer dans la légende

© DR

Il y a d’abord le bruissement des pneus sur les graviers blancs, la porte de la voiture qui s’ouvre et, devant cette imposante façade crème, Naranja Singh, le portier sikh qui, du haut de son mètre 90, se penche élégamment : « Welcome to Raffles ! » Le Raffles, palace mythique dont l’histoire se confond avec celle de Singapour depuis 1887 et qui a attiré le gotha du monde entier et les écrivains en quête d’inspiration. « Le Raffles est synonyme de toutes les fables de l’Orient exotique », écrivait Somerset Maugham sur une table à l’ombre des frangipaniers. Depuis, il n’a cessé de véhiculer cette part de rêve et de glamour. Rouvert en août 2019, après une rénovation majeure de deux ans pilotée par l’architecte new-yorkaise Alexandra Champalimaud, le palace a conservé son âme intacte, avec un supplément de chic. L’habitué y retrouve (presque) tous ses repères…

Le lobby, avec son impressionnante hauteur sous plafond, n’a rien perdu de sa splendeur, mais pour la première fois dans l’histoire de l’hôtel, il accueille un lustre Preciosa en forme de lotus, créé spécialement pour lui, aux dimensions vertigineuses : 4 mètres de haut et presque 5 mètres de large. Au mythique Long Bar restauré avec goût, le Singapore Sling, cocktail créé en 1915, a été légèrement désucré… en revanche, comme le veut la tradition, on jette toujours au sol les cosses de cacahuètes. À 20 heures pétantes, l’horloge de 1853 joue inlassablement « I’ll See You Again », morceau composé sur place en 1929 par Noël Coward. 

Les 115 suites réparties en 9 catégories ont la même structure, avec antichambre et chambre. « Nous avons beaucoup travaillé sur l’éclairage, les textures et les matériaux comme le marbre, les tissus, les cuirs et le verre, afin de créer une décoration qui fasse référence à l’héritage, mais avec une élégance plus simple », explique Alexandra Champalimaud. Et, modernité oblige, un iPad pilote toutes les fonctions de la chambre ; directement connecté au majordome, il est prêt à répondre à toutes les demandes des clients, même les plus excentriques.

02 – CAPELLA SINGAPORE, havre de paix

© Georg Roske

À Sentosa, île artificielle au sud de Singapour, le Capella, membre de Leading Hotels of the World, est depuis 2009 une adresse au luxe intemporel. Posé sur un parc de plus de 10 hectares, avec des vues sur la mer de Chine du Sud, ce resort est un parfait exemple d’intégration d’architecture moderne à d’anciens bâtiments de style colonial du xixe siècle : une prouesse que l’on doit à l’architecte anglais Norman Foster. En 2021, l’hôtel s’est offert un coup de jeune signé André Fu. Sans être en rupture avec le design original, l’architecte d’intérieur hongkongais a su donner aux 110 suites et villas une vraie identité avec une nouvelle collection de meubles aux lignes épurées et tout en rondeur faisant la part belle aux teck, chêne, rotin, cotonnades et toiles de jute. Autre attraction inédite : l’ouverture du restaurant italien Fiamma sous la houlette du chef italo-argentin Mauro Colagreco, triplement étoilé.

03 – THE CLAN, racines chinoises

© DR

Le nom de cet hôtel de 324 chambres fait référence aux clans, des associations destinées à aider les immigrants chinois au xixe siècle. Passé la première impression d’une tour moderne peu engageante, il y a la surprise d’une réception façon boudoir chinois aux teintes chaudes. Le visiteur est accueilli par une cérémonie du thé avant de rejoindre sa chambre dont les larges baies vitrées offrent de beaux panoramas à la fois sur les tours du CBD et sur les toits des anciennes shophouses de Singapour. Un panorama dont on jouit également depuis la piscine extérieure au 30e étage. On apprécie ici les activités sur mesure avec des artisans et artistes locaux ainsi que l’emplacement, à Chinatown, près des marchés, des temples, des ruelles touristiques un peu kitsch et des nombreux cafés, restaurants et bars sur les toits.

04 – THE WAREHOUSE, condensé d’histoire

© DR

Après avoir été un entrepôt d’épices au xixe siècle, une distillerie clandestine, une fumerie d’opium, un night-club puis être resté plus deux décennies à l’abandon, ce bâtiment de 1895, sur les berges de la rivière Singapour, s’est réincarné en boutique-hôtel de 37 chambres en 2017. Asylum, agence singapourienne de design et d’architecture d’intérieur, a su jouer avec les traces du passé pour créer un univers industriel chaleureux, élégant et intimiste. Les chambres sont autant d’écrins ultra-modernes où bois, métal et marbre sont à l’honneur. L’histoire de Singapour se raconte aussi bien à travers les cocktails, comme le Spice Trade, évoquant le rôle clé de la cité-État sur les routes du commerce, que dans les recettes de grand-mère du restaurant Pó, ou encore dans les livres de la bibliothèque. À lire au bord de la petite piscine, sur une terrasse surélevée donnant sur la rivière.


Retour aux sources

Singapour a vu émerger une nouvelle génération de jeunes chefs représentant l’avant-garde de la haute cuisine asiatique. Démonstration en quatre adresses.

01 – BORN

Le chef Zor Tan © DR

C’est dans une ancienne gare de pousse-pousse en plein cœur de Chinatown que le chef Zor Tan a posé ses fourneaux. Le brouhaha d’antan a laissé place à une ambiance épurée, baignée d’une douce lumière naturelle. Au plafond, une sculpture de papier de l’artiste hollandais Peter Gentenaar. Derrière sa cuisine ouverte, le chef malais d’origine chinoise prépare son menu comme un voyage en neuf étapes clés de sa propre vie. Il faut se laisser porter par sa cuisine inspirée, aussi précise que savoureuse, à l’image du poisson vapeur aux piments ou du pigeon maturé sept jours.

02 – THEVAR

Manogren Thevar incarne à lui seul cette notion de carrefour si propre à Singapour. Malaisien d’origine indienne, formé auprès du Français Guy Savoy et du Japonais Tetsuya Wakuda, il réinterprète la cuisine indienne de sa grand-mère avec les épices en fil rouge. Malgré ses deux étoiles, il a su garder toute sa simplicité, et c’est dans une ambiance néo-bistrot qu’il propose, telles des tapas, un carré d’agneau au chutney à la coriandre et au piment fermenté ou des huîtres servies avec une vinaigrette façon rasam, la soupe traditionnelle d’Inde du Sud.

03 – PANGIUM

© DR

Après avoir décroché une étoile Michelin au restaurant Candlenut – une première mondiale pour la cuisine perenakan mêlant influences chinoises, malaises et indonésiennes –, le chef singapourien Malcom Lee a ouvert en juin dernier une deuxième adresse, Pangium. Dans cet écrin de verre posé au milieu de la végétation luxuriante du jardin botanique, il redonne vie aux recettes de son enfance et à des plats oubliés comme le sagun, une pâtisserie à base de poudre de coco. 

04 – NAE : UM 

Dans ce restaurant de poche (28 couverts seulement), le chef Louis Han élabore une cuisine bien ancrée dans ses racines coréennes avec des techniques affûtées auprès de son mentor à Séoul, Sung Anh, doublement étoilé, mais également influencées par ses expériences au Liban et à Abu Dhabi. Il écrit ses menus comme des « épisodes » pour chaque saison : ainsi, une tuile au charbon végétal et glace au jujube (une datte asiatique) a signé l’arrivée de l’automne. Pas étonnant que cette table se soit imposée comme l’une des adresses les plus courues de Singapour et qu’en un an à peine, elle ait séduit le Michelin, qui lui a attribué une étoile.


Les bonnes adresses de Roman Angulo

Après Londres, Hong-Kong, Pékin, c’est à Singapour que l’Espagnol Roman Angulo a posé ses valises. Arrivé l’été dernier, le nouveau directeur général du Capella est encore en phase d’exploration de sa nouvelle terre d’adoption.

01 – MANHATTAN

© Vega Alta

Le bar de l’hôtel Regent Singapore est un incontournable pour boire un cocktail dans une ambiance New York des années 1920. Mon préféré : le Hamilton, avec du Westland American single malt, du cognac Rémy Martin 1738, du xérès d’Andalousie, de la liqueur Muyu Vetiver Gris et une pointe de liqueur de chocolat.  regentsingapore.com.sg

02 – KEK SEAFOOD

Un restaurant tenu par la même famille depuis 1950. On y sert de la cuisine du Hainan, une province du sud de la Chine. J’y vais régulièrement avec ma femme et mes enfants pour manger du crabe, des nouilles sautées et de savoureux travers de porc. kek.com.sg

03 – HAT OF CAIN

C’est une très belle adresse à l’est de Singapour, dans le quartier de Joo Chiat, qui vend d’authentiques chapeaux panamas importés d’Équateur. J’ai rapidement adopté le modèle « Sinatra », indispensable pour sortir sous le soleil de Singapour. hatofcain.com

04 – STPI CREATIVE WORKSHOP & GALLERY

© DR

Une galerie et un atelier de création dans un espace unique, le long de la rivière, spécialisé dans l’impression et le travail sur papier. J’aime y aller autant pour voir les œuvres exposées que pour participer à leurs ateliers et assister aux rencontres avec les artistes. stpi.com.sg

Reportage paru dans le numéro 125 d’Hôtel & Lodge.

Inscription à la newsletter RESTOInscrivez-vous pour être informé en avant première et recevoir les offres exclusives !
Inscription à notre Newsletter Hôtel & LodgeInscrivez-vous pour être informé en avant première et recevoir les offres exclusives !

A découvrir