Erró « Il ne faut jamais penser qu’on a tout fini ! »

Il y a peu, la jeune marque de montres française Charlie paris associée à la galerie Loeve&Co a édité une montre dessinée par le célèbre peintre islandais Erró. Un artiste infatigable, qui a fait du temps l’une de ses obsessions.

Texte Aymeric Mantoux

En dépit de ses 92 ans, le peintre de la figuration narrative conserve une fraîcheur et une modernité éclatantes. Drôle de personnage que cet ogre islandais, parfois considéré comme une sorte de Falstaff. « Erró, c’est Picasso », assure d’une façon définitive le galeriste et critique d’art Stéphane Corréard. En près de 70 ans de création, de peintures et de collages, il révèle un esprit pop qui dissimule souvent l’acuité et la pertinence de sa réflexion sur l’art en général et sur le sien en particulier. Il n’a jamais peint que le présent. Captivé par le monde qui l’entoure, il y puise son inspiration. Face à « l’incessant flot d’images et d’événements », Erró jubile et manie les ciseaux et la colle. Avec avidité, une inlassable curiosité, il pioche dans la BD, autant que dans Léger ou Picasso, les journaux et les revues, les mangas, autant que Mao. « Tout, absolument tout, a déjà été photographié, filmé, dessiné, alors pourquoi vouloir créer encore de nouvelles images ? »,a-t-il coutume de dire. 

Lui a traversé les courants, les siècles même, et on redécouvre aujourd’hui son apport majeur à l’art de notre temps. Erró, en islandais, signifie « Maintenant, c’est calme ». L’artiste s’était inventé ce pseudonyme parce que l’étrangeté de ses prénom et nom d’état civil – Guðmundur Guðmundsson –, risquait en effet de compliquer ses débuts de carrière en France, au début des années 1950… Soixante-dix ans après, d’exposition en rétrospective, il travaille toujours sans relâche.

Montre automatique, au boîtier acier, l’Amazone par Erró a été éditée à 100 exemplaires seulement. Elle représente le visage d’une amazone masquée. © DR

3 questions à Erró

D’où vient votre énergie ? 
J’ai fait tout ce que j’avais promis de faire jusque-là. Maintenant j’essaie de prévoir moins d’expositions et je n’ai gardé que peu de galeries. Quand je ne travaille pas, je suis très fatigué, mais quand je travaille, la journée passe en dix minutes et la semaine en un jour ! Ça a l’air bête, mais c’est comme ça ! Il ne faut jamais penser qu’on a tout fini. C’est faux, il y a toujours du nouveau.

Qu’est-ce qui fait que vos images parlent au public de 7 à 77 ans ?
C’est extraordinaire, ce flot d’images, d’événements qui sont oubliés en deux jours. C’est pourquoi je suis d’autant plus content quand on me demande de reproduire mes tableaux dans des livres scolaires – Mao Tsé-toung le plus souvent. Qu’on y introduise de l’art, que l’on pense que les jeunes auront envie de les voir… Peut-être que le style bande dessinée est plus lisible pour eux. 

Comment expliquez-vous votre longévité ?
Je n’ai jamais eu de cesse que de regarder mon époque, et d’observer ce qui se faisait. La modernité, la BD, l’actualité, tout m’inspire. Il y a des allers-retours dans mon travail, des obsessions. Ce sont ces correspondances qui nous permettent justement de ne pas refaire le même tableau toute notre vie. Moi j’ai aimé changer à chaque exposition, réaliser de nouvelles séries qui n’ont rien à voir avec les précédentes. Mon style a évolué, en quête de couleur, de gaieté. J’ai pris mon pied pour réaliser mes œuvres, j’espère que ça se voit ! Artiste est un métier formidable. J’ai toujours été et je serai toujours un ardent défenseur de l’humain, des gens, de ce qui nous entoure, de la figuration pour ce qu’elle est. Le reflet, conforme ou difforme, d’une certaine réalité. Quand j’étais jeune artiste, si tu peignais, tu étais destiné à faire des portraits à Montmartre ou à mourir de faim. J’ai bien fait de persévérer.

Article paru dans le numéro 138 d’Hôtel & Lodge.

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