Arnaud Faye, l’outsider à Épicure, le restaurant du Bristol Paris

Personne ne l’attendait, personne ne murmurait son nom pour succéder à Éric Frechon. La Famille Oetker, propriétaire du palace, a déjoué tous les pronostics, optant pour un MOF, deux étoiles, entreprenant, créatif, manager, soucieux de sa brigade et de bouger les lignes.

Texte Anne-Marie Cattelain-Le Dû

La carte d’Épicure, table triplement étoilée du Bristol Paris, ouvre sur un parchemin blanc incrusté de fleurs naturelles imprimé de mots en volutes, rendant hommage aux artisans de la terre et de la mer. À leurs gestes, leurs produits, leurs savoirs, leurs traditions, leur poésie, qui rythment ce « voyage culinaire ». Car c’est bien à un voyage en terre de France que le nouveau chef du palace parisien, situé faubourg Saint-Honoré, nous convie, accompagné en salle d’un équipage dont la bienveillance souriante, l’attention décontractée, l’humour mesuré dérident les plus austères, rassurent les anxieux, néophytes en étoilé.

On avait connu Faye, Auvergnat de naissance, à Chantilly à l’Auberge du Jeu de Paume de l’Agha Khan, régalant les propriétaires et les entraîneurs des écuries prestigieuses, et les jockeys poids plume. On l’avait retrouvé, quelques années plus tard, perché à La Chèvre d’Or d’Èze, face à la Méditerranée, recevant l’ex-président Barack Obama et son ami Bono, le chanteur de U2. Le voici à Paris, sorti, comme il le dit, « de a zone de confort, de a routine. J’étais installé à Nice, quartier Cimiez depuis huit années. J’envisageais de bouger, de développer avec mon épouse, Laurence, mon concept “Rivyera”, testé avec succès à l’hôtel Christopher à Saint-Barth. C’est là que j’ai croisé mes employeurs actuels. »

Arnaud Faye, Meilleur Ouvrier de France, veille avant tout à fédérer ses équipes, en cuisine comme en salle. © DR
Écrire une carte, des menus, où le végétal s’affirme, apportant de la fraîcheur, des saveurs, des couleurs. Dans l’air du temps. © Thomas Dhellemmes
Épicure ouvre sur le jardin du Bristol Paris. Dans quelques semaines, art de la table et nouvelles tentures se marieront avec les plats du chef. © DR

À 46 ans, cet athlète charpenté, qu’un ménisque défaillant interdit de sport, succède, les idées claires, à une légende, Éric Frechon, qui dix ans après son entrée au Bristol, décrocha sa troisième étoile. Exit les plats signature contant une autre époque, de la poularde de Bresse cuite en vessie aux macaronis aux truffes et au vieux parmesan, même si certains clients d’Épicure, de moins en moins nombreux, les réclament parfois. Faye écrit son histoire contemporaine, rafraîchissante, légère, inventive, en relation étroite avec ses chefs de partie. Une histoire plus simple à déchiffrer, à appréhender, à partager, plus étonnante aussi, où le menu végétal tient la dragée haute au homard bleu de la Côte d’Opale, paré des saveurs inattendues de la courge d’Île-de-France, du yuzu et d’une vinaigrette à l’huile de tagète comme au pigeon de Pornic dont la chair saignante s’accorde à merveille avec le jus à la cardamome noire, les maïs d’Île-de-France et les champignons des bois. « J’aime les pas de côté pour surprendre tout autant le Parisien fidèle au Bristol que l’Américain ou le Japonais qui possèdent une idée fantasmée de la cuisine française. Et sans sectarisme, pour jouer au mieux la saisonnalité, je m’approvisionne chez les meilleurs producteurs, dans chaque région. Je guette les agrumes sudistes, actuellement à maturité. Je cuisine la meilleure volaille de Bresse et désormais, ce sont les frères Marchand, septième génération de fromagers à Nancy, qui composent notre plateau. » Fromages ou dessert ? Pourquoi choisir, lorsque le pain boulangé chaque jour au Bristol appelle autant un maroilles AOP qu’un bleu persillé, que la carte des vins décline 38 propositions au verre d’un champagne extra brut Dehours et Fils à un Margaux, Château Palmer 2008. Et que les desserts au sucre maîtrisé de Yu Tanaka sont des chefs-d’œuvre autant à contempler qu’à déguster, avec un faible pour le superbe et léger « Vanille de Tahiti » dont la glace torréfiée et la présentation laisse baba.

Ainsi, Faye marque en douceur mais avec détermination son empreinte, appréciant que ses chefs de salle invitent, en fin de repas, les convives manifestant quelque intérêt à le rencontrer dans son fief : la cuisine.

Du mardi au samedi, déjeuner et dîner. Menu à partir de 330 €.

L’esprit des lieux

© Claire Cocano

Épicure ouvre sur le luxuriant jardin intérieur du Bristol, dont les grandes baies vitrées filtrent les rousseurs automnales. À nouveau chef, nouveau décor. Juste question de temps. Dans les secrets d’un atelier d’artiste italien, des rideaux attendent d’être coupés, dans les 200 mètres de tissus peints à la main et qui racontent, de pan en pan, une histoire. Ils devraient remplacer courant 2025 les lourdes tentures fleuries, frangées, de Pierre Frey. Quant à l’art de la table, le chef et l’une des belles-filles Oetker passionnée de décoration consultent les meilleurs artisans, les plus jolis catalogues, afin de le renouveler, pour s’harmoniser avec les nouvelles cartes. Patience donc.

Article paru dans le numéro 137 d’Hôtel & Lodge.

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