Juste le nom du palace cannois écrit en bleu sur le fronton. Même couleur, même taille, même police qu’en 1913. Comme une signature pour raconter sur la Croisette la suite de l’histoire.
Texte Anne Marie Cattelain Le Dû
Avant sa fermeture en 2020, l’imposante enseigne InterContinental frangeait la façade du 5-étoiles. Son nom, Carlton, était relégué sur les tourelles d’angle. Comme une dissonance. Le palace de la French Riviera affiche désormais son identité de naissance et, après des mois de travaux intensifs, mêle avec élégance le passé au présent grâce aux talents de deux architectes qui se sont penchés avec bienveillance sur la grande dame un rien démodée pour lui redonner sa superbe. Le premier, Richard Lavelle, a imaginé, en lien étroit avec les Bâtiments de France, deux ailes latérales bordant, grande nouveauté, le jardin de 22 000 plantations choisies par le paysagiste Land’Act et se reflétant sur la piscine à débordement. « L’hôtel, en passant de 32 000 m2 à 52 000 m2, répond aux souhaits des hôtes de disposer de très grandes suites et dans cette partie rajoutée, de 37 résidences prises d’assaut pendant les événements majeurs, comme le Festival de Cannes », précise le directeur général, Giuseppe Vincelli. C’est aussi en regard du jardin que se déploie le C.Club Fitness & Spa, plus grand club de sports cannois, avec un ring de boxe et trois marques de soins premium, Barbara Sturm, Dr Burgener et SwissLine.
Second magicien, Tristan Auer, architecte d’intérieur expert en rénovation d’hôtels d’exception. Après des mois plongé dans les archives, des heures à échanger avec le personnel, les clients, il a, d’une part, retrouvé la beauté originelle des marbres, des quartz, des colonnes qui ponctuent le rez-de-chaussée, restauré la salle de bal classée et d’autre part, invité la lumière à se déverser par flots. Ouvertures dégagées, palette de blancs, d’ivoire, de sable, de vert tendre, de terre battue, luminaires et mobilier créés sur mesure, œuvres d’art choisies par Sylvie et Didier Amigo d’In’Art subliment le moindre espace.
Le 13 mars dernier, le palace rouvrait ses portes, sous les regards émus du personnel. Les Cannois curieux ont vite retrouvé leur table au Beach Club, sur la plage, désormais ouvert toute l’année. Les habitués ont repris comme si de rien n’était leur conversation autour d’une tasse de thé ou de café au Camélia. Tandis que, tradition depuis des lustres, pendant la durée du festival débutant cette année le 16 mai, le réalisateur suédois Ruben Östlund y pose dans une des plus belles suites ses valises, en qualité de président du jury. Il est fort à parier que cette année, le palace sera la star numéro un de cette 76e édition. À la une de tous les médias du monde.
Maxime Nerkowski, chef concierge
45 ans, président des Clés d’or de la Côte d’Azur et de Monaco, depuis 20 ans au Carlton. « Nous sommes huit concierges permanents, 14 en saison. La benjamine, Élise, a 23 ans, l’aîné, Jean-Marie, 64 ans. L’hiver, je passe 50 % de mon temps à l’hôtel, 50 % à l’extérieur pour mettre mes adresses à jour, visiter ou revisiter celles que je conseille. Mes chouchous pour la saison : toujours le restaurant La Môme d’Ugo et Antoine, Le Maschou au Suquet pour un dîner convivial de grillades au feu de bois, et la boutique pour femmes de Fabiana Filippi. »
Quatre questions à Tristan Auer
Votre réaction face à ce palace à bout de souffle ?
Le Carlton est une icône, un héritage, une grande dame, d’un certain âge à traiter avec égards. Je me suis mis à son service, avec fierté et humilité.
La plus grande difficulté ?
De « tenir » mon projet pendant sept ans, en résistant aux dernières tendances et tentations qui n’ont rien à voir avec l’histoire unique du Carlton.
Votre fil rouge ?
J’ai voulu recréer des paysages intérieurs forts et inspirants, des ouvertures vers un jardin méditerranéen gorgé de senteurs, accentuer la transparence, le mouvement de la brise marine à travers les voilages,
la progression cinématographique des ambiances, des émotions, l’esprit et la douceur de la French Riviera.
En résumé, ce chantier ?
Le savoir-faire des artisans, comme la céramiste Fabienne L’Hostis, dénichée dans son atelier de Mouans-Sartoux. La restauration des salons historiques par les meilleurs spécialistes français, en collaboration avec la Direction des Monuments historiques et en utilisant la stratigraphie de la peinture pour restituer le Carlton Cannes au plus près de la réalité historique.
Article paru dans le numéro 128 d’Hôtel & Lodge.