Au large de la côte nord-est de Madagascar, sur Nosy Ankao, île isolée, longtemps refuge de pirates, l’écolodge Miavana by Time + Tide décoiffe, dans tous les sens du terme.
Texte Anne Marie Cattelain Le-Dû
Les détrousseurs des mers ne risquaient nullement qu’on les repère sur les rivages de Nosy Ankao, où ne jetaient l’ancre que quelques pêcheurs nomades prenant soin de se tenir à distance des brigands et de cacher leurs embarcations. Fouillis végétal, royaume d’une faune rare où cohabitent, selon les saisons, caméléons tirant la langue pour piéger les insectes nourriciers, lémuriens au regard étonné, baleines à bosse acrobatiques, tortues empressées de pondre. Une nature vierge dont 250 hectares classés en réserve naturelle. Une île égarée comme à la dérive dans l’océan Indien devenue territoire de Time + Tide, attaché à développer un tourisme haut de gamme, vertueux, en lien avec les communautés alentour.
On accède à Nosy Ankao par hélicoptère privé depuis Diego-Suarez (Antsiranana) ou Nosy Be. Vol initiatique dévoilant au plus près, grâce à la dextérité du pilote, en l’occurrence Thierry Dalais, PDG de Time + Tide, mangroves, forêts de baobabs, cours d’eau boueux, tsingys acérés, dressés comme des Giacometti, baies désertes où se devinent des épaves de boutres et de pirogues. Tel un insecte de science-fiction aux yeux de verre globuleux, l’engin turquoise se pose bourdonnant à Miavana après une heure de survol hypnotique d’un patchwork de paysages hallucinants qui se gravent au plus profond de la mémoire. Monde fragile menacé par le désordre climatique et l’inconséquence des hommes. Éblouie par le soleil, étourdie par le vent, on titube presque en gagnant la terre ferme, devinant au hasard des pistes du domaine les 14 villas couleur océane posées sur les anses sablonneuses, à généreuse distance les unes des autres pour assurer une intimité remarquable.
À chacun de ses séjours à Miavana – « se réconcilier », en malgache –, Thierry Dalais, dont l’accent trahit joliment les origines mauriciennes, mesure la chance d’avoir pu construire son écolodge ici, grâce à Jean-Christophe Peyre, chasseur de trésors, écologiste avant l’heure, qui, il y a 30 ans, a découvert cette terre paumée et sa poignée de pêcheurs sédentarisés au gré des migrations, vivant chichement dans des cases de fortune. Il aura fallu quatre ans pour ériger les bâtiments, dans le plus profond respect de l’écosystème et de l’environnement, utilisant en priorité des matériaux locaux, naturels, recyclés. « Nous avons, explique Thierry Dalais, pour leur approche écoresponsable, confié le projet à Silvio Rech et Lesley Carstens, architectes et décorateurs de North Island, aux Seychelles, et de Chinzombo, en Zambie, entre autres. En parallèle, nous avons déraciné les plantes invasives, les filaos par exemple, puis planté 100000 arbres indigènes qui fixent la terre et participent à la régénération de la forêt d’origine en lien avec l’ONG Fanamby de Serge Rajaobelina, qui veille à la fois à la protection des aires classées et de leurs habitants. Ainsi, à travers notre fondation, nous accompagnons les villageois, achetons leur riz, leurs zébus pour notre restaurant, embauchons des jeunes en apprentissage, soutenons l’école et le dispensaire. »
10 km2 insulaires, en forme de S, dominés par un phare désaffecté chancelant, presque centenaire, dont on gravit prudemment les marches lézardées pour parvenir à la lanterne. Jumelles braquées, on scrute les anses où les palmiers projettent leurs ombres jusque dans l’océan Indien secoué par les alizés. Du côté de Turtle Bay, les kitesurfeurs prennent la vague avec panache. Tractés par leurs voiles où s’engouffre le vent, ils s’élèvent vers les nuages, pirouettant à l’envi. Les acharnés, Américains en tête, viennent de très loin surfer sur ce spot mondialement réputé, accessible seulement depuis l’ouverture du Miavana. Impressionnant ballet multicolore qui ne trouble nullement les 70000 sternes recensées, nidifiant en piaillant à quelques centaines de mètres de la plage, ni les zébus broutant l’herbe iodée, survivant vaille que vaille. Pas un bruit, hormis le chant éraillé des oiseaux marins, le claquement d’une voile chutant lourdement dans les flots, la plainte sifflante de la bise forcissant à l’approche du couchant.
L’heure de descendre de son perchoir, de quitter la place, de marquer un stop dans le café-épicerie de fortune du hameau le plus proche, histoire d’échanger avec les hommes préparant lignes et filets pour la pêche nocturne, de partager une limonade tiède avec l’aîné du village, Joro, 101 ans, dont le prénom signifie « inébranlable », explique son petit-fils balbutiant quelques mots de français. Joro qui, il y a 25 ans, a suivi ce dernier venu travailler à la ferme d’algues Ibis Algoculture, initiée par Jean-Christophe pour générer quelques emplois et veiller à ce qu’aucun gros bateau de pêche ne se hasarde dans les parages, détruisant les coraux, vidant les fonds, éviter que les braconniers capturent les animaux et que des investisseurs y construisent à tout-va. Une sorte de gardien du sanctuaire. La ferme existe toujours, déplacée sur une autre île proche.
Ciel d’encre que balafre d’argent la Voie lactée qu’aucune pollution ne voile. Cadre admirable pour, les pieds dans le sable, savourer un cocktail fort en rhum vanille aux gousses grasses mûries sur la Grande Terre puis, afin de rester dans la note, apprécier un magret de canard fumé arrosé de rhum vanille. Le chef l’assure, les palmipèdes viennent de Nosy Ankao, tout comme le crabe du déjeuner. On le croit volontiers, ayant croisé sur la plage près de l’épicerie un troupeau caquetant, dodinant du croupion.
Mini-musée
Jean-Christophe – toujours lui – mais aussi les villageois
et le personnel ont glané au hasard de leurs déplacements sur Nosy Ankao et les îles alentour, Nosy Manonboy, Nosy Satrana notamment, des trésors exposés dans un cabinet de curiosités, avec quelques documents témoins de l’histoire de cette partie peu connue de Madagascar : fossile de dinosaure, squelettes d’hippopotame, d’oiseau-éléphant, collection de papillons, objets utilitaires. Films et conférences ajoutent à l’intérêt de ce musée de poche.
Carnet pratique
Quand partir ? De mai à octobre pour pratiquer le kitesurf – les vents sont constants, bien établis. D’octobre à avril pour la pêche au gros. En juin pour observer les sternes venues pondre et couver. En août pour croiser les baleines à bosse, frôlant l’île dans leur migration. D’octobre à décembre pour assister à la ponte des tortues, et en février-mars pour voir les œufs éclore et les bébés gagner la mer.
Bon à savoir : c’est une expédition, avouons-le tout de go, mais une expédition dans l’une des régions les plus préservées et méconnues de Madagascar. La récompense : un lodge de toute beauté, conciliant hôtellerie 5-étoiles (hébergement, restauration, services, spa), expériences incroyables avec en tête de liste la découverte d’une nature vierge, mais aussi le survol de régions isolées en hélicoptère, des randonnées pédestres avec guides sur des sites incroyables, etc.
Y aller : avec Tselana Travel de Marie-Louise Moineau, spécialiste passionnée de l’Afrique qui, sur place, travaille avec un réceptif très fiable, dispo en cas de problème 24 heures/24. Forfait 18 100 euros incluant : 4 jours/3 nuits en villa avec piscine au Miavana, en pension complète, avec diverses activités (balades guidées en forêt pour observer les lémuriens, cours de plongée, croisières, visites culturelles de l’île, pêche à la mouche, demi-journée de pêche en bateau, surf, ski, ski nautique, stand-up paddle, wakeboard, kitesurf, spa pendant 30 minutes, cours de yoga, vélo…) ; vols A/R Paris-Antananarivo Air France en classe éco ; vols A/R Antananarivo-Nosy Be en classe éco. À l’arrivée du vol international, une nuit à la Maison Gallieni avec petit déjeuner (villa historique avec piscine, siège du consulat de la principauté de Monaco). Au retour, chambre day use au Relais des Plateaux, avant de prendre le vol de nuit.
Tselana Travel : tselana.com
Article paru dans le numéro 127 d’Hôtel & Lodge.