Mirant son architecture iconique dans les eaux du Léman, côté Suisse, souvent salué comme le meilleur hôtel urbain d’Europe, depuis le milieu du XIXe siècle, le 5-étoiles flirte avec la grande et la petite Histoire.
Texte Anne-Marie Cattelain Le Dû
Le 13 avril 1865, Jean-Jacques Mayer inaugure Le Grand Hôtel Beau-Rivage sur le quai du Mont-Blanc, avec vue sur le célèbre sommet alpin ; 26 ans plus tard, le jet d’eau genevois, symbole de la ville, érigé juste en face, ajoute au prestige des suites et chambres en vis-à-vis. Jusqu’en 2020 et sa vente à la famille Casacuberta, d’origine espagnole, cinq générations de Mayer se succèdent à la tête du palace qui, au fil du temps, perd son adjectif « grand », « terme ici un peu désuet et inutile », confiait Catherine Nickbarte-Mayer, l’une des descendantes de la famille fondatrice.
Grand, il l’est par son prestige, sa magnificence et sa notoriété plus que par le nombre de ses chambres – 95. Construit dans le style néoclassique italien, très prisé à l’époque, avec force colonnes de marbre, enrichi de fresques du peintre Ferrero, d’origine piémontaise, l’hôtel ouvre, éclairé aux bougies, sans eau courante. Très vite, il se dote du premier ascenseur à propulsion hydraulique, puis d’éclairage au gaz, ses propriétaires voulant offrir le meilleur à leurs hôtes. Bien des années plus tard, en 1967, le Beau Rivage, membre de Leading Hotels of the World, bouscule les codes avec l’ouverture du Chat Botté : il est le premier établissement suisse à accueillir des clients extérieurs. Il sera aussi le premier, au tournant des années 2000, à proposer une connexion wi-fi gratuite et performante. Rare, alors.
Innovant, merveilleusement bien placé au cœur d’une des villes les plus riches, le palace attire vite les VIP. Son livre d’or ressemble au Bottin mondain, couvert des signatures et louanges des personnalités les plus diverses : l’impératrice Élisabeth d’Autriche, qui y rendra son dernier souffle le jour où l’actrice Sarah Bernhardt débarque ; le maharaja de Patiala, Bhupinder Singh, homme patibulaire, spectaculaire, couvert de bijoux dont un collier de 2 930 diamants avec en son centre un diamant jaune de 234 carats créé par Cartier ; ou encore l’acteur Roger Moore, dont les yeux bleus affolent tout autant le personnel que les clientes… Catherine Deneuve, Angelina Jolie – avec puis sans Brad –, la princesse de Monaco, Lætitia Casta y descendent aussi régulièrement. Une aubaine, cette clientèle, pour Sotheby’s, la plus grande maison de vente aux enchères d’œuvres d’art et d’objets de collection, qui y installe en 1987 son siège européen, organisant, en guise d’inauguration, la vente des bijoux de la duchesse de Windsor.
En 2015, pour garder son prestige et son rang de palace, les Mayer, encore propriétaires, demandent à l’architecte Pierre-Yves Rochon d’aménager deux nouveaux étages dits « célestes », hissés au sommet du Beau-Rivage : 17 chambres et suites aux dimensions généreuses – dont le toit de certaines coulisse – y scrutent les étoiles. Un spa, lui aussi haut perché, avec sa carte Bellefontaine aux ingrédients naturels extraits des Alpes, dont de l’eau pure des glaciers, répond aux attentes bien-être des hôtes d’aujourd’hui. Et, véritable institution gastronomique genevoise, Le Chat Botté, sa table étoilée à la belle terrasse fleurie donnant sur le lac, réinvente en permanence sa carte. Dominique Gauthier, entré en 1992 au Beau-Rivage, chef français adoré par Gault & Millau, marie désormais les plats locavores – grenouilles de Vallorbe, côte de veau suisse… – et les produits nobles glanés de l’autre côté de la frontière : turbot breton, canette des Dombes. Avec pour devise assumée : « L’art culinaire est une délicate association entre saveurs, couleurs de saison et produits d’exception. » En osmose avec l’ADN des lieux.
Le dernier souffle d’Élisabeth, dite Sissi
Grande voyageuse, rebelle, fuyant le plus possible les fastes et les contraintes de la cour autrichienne, l’épouse de l’empereur François-Joseph parcourait l’Europe, et aimait séjourner en Suisse. Le 8 septembre 1898, le réceptionniste du Beau-Rivage enregistre l’impératrice, fidèle cliente. Deux jours plus tard, en montant à bord du ferry pour Montreux, elle est poignardée par l’anarchiste italien Luigi Lucheni. Transférée d’urgence au Beau-Rivage, assistée par Fanny Mayer, 24 ans, avant que sa cour ne prenne le relais, l’impératrice meurt. Sa dépouille sera rapatriée et inhumée à Vienne, dans la crypte de l’église des Capucins.
Article paru dans le numéro 124 d’Hôtel & Lodge.