Un paysage urbain métamorphosé, une scène culturelle débridée, des adresses qui fleurent bon la modernité… « La belle endormie » s’est réveillée, toujours coquette, mais plus décontractée et ouverte d’esprit. Bordeaux est désormais une ville à vivre autant qu’à visiter.
Dossier réalisé par Céline Baussay
« Bordeaux ? C’est l’essence même de l’élégance » : la formule prononcée par Elisabeth II lors de son séjour en juin 1992 et reprise par l’auteure Laure Lamendin dans son ouvrage illustré « La Bordelaise, guide intemporel d’un art de vivre », évoque la richesse esthétique, exceptionnelle et intemporelle, de la ville et, par ricochet, de ses habitants. Mais si Bordeaux a toujours fière et belle allure, elle a beaucoup évolué depuis la visite royale. Du très distingué Triangle d’or au Vieux-Bordeaux jusqu’aux Chartrons, plus branché, chacun des quartiers cultive plus que jamais sa différence et entretient sa propre vie de village.
Le long de la Garonne, les promeneurs à pied, à vélo ou en roller se sont approprié les nouveaux aménagements urbains : les quais plus aérés, les jardins publics étendus au bord du fleuve, le Miroir d’eau. La place de la Bourse et les majestueuses façades de pierre du XVIIIe siècle, rive gauche, dialoguent désormais avec la Cité du vin et rive droite, les spectaculaires architectures contemporaines des Bassins à flot. En une même journée, on peut en prendre plein les yeux aux Bassins des Lumières, le plus grand centre d’art numérique au monde installé dans une base sous-marine, réfléchir au monde de demain à Darwin, un tiers-lieu dans une caserne militaire, et réviser son registre classique à l’incontournable Grand Théâtre de Bordeaux. Pour son patrimoine bâti comme pour son offre culturelle, la capitale girondine assume le mélange des genres.
L’hôtellerie est souvent un bon indicateur du dynamisme d’une ville et de sa capacité à se réinventer. Bordeaux ne déroge pas à la règle. Des concepts inédits et avant-gardistes y ont été lancés : Seeko’o et son look futuriste, Moxy et son style industriel ultra-coloré, Yndo et ses faux airs de galerie d’art et de design, Eklo et Greet à la fibre écolo… La folie rooftop est arrivée, au Mama Shelter, à l’InterContinental Bordeaux-Le Grand Hôtel, puis récemment au Renaissance Bordeaux. Des 4 et 5-étoiles ont investi des hôtels particuliers (Villas Foch, La Course, Konti…), un relais de poste et ses écuries (La Maison Bord’eaux) et même un institut de sciences (La Zoologie). Bordeaux brouille les pistes, bouscule les traditions, brille par sa créativité et sa diversité. Le plus souvent avec talent et discrétion… une certaine forme d’élégance.
Quand Bordeaux ose…
Ces derniers mois, d’audacieux boutiques-hôtels et maisons d’hôtes réveillent et embellissent les bâtisses historiques du centre-ville. Un élan commun qui dépoussière l’offre hôtelière.
Villas Foch : et la lumière fut !
À l’image du quartier des Quinconces, ce nouveau 5-étoiles rend ses lettres de noblesse à deux bâtiments emblématiques de l’architecture bourgeoise du xixe siècle réunis en un, ornés de moulures, corniches et cheminées. La famille propriétaire des lieux a réussi à recréer ici l’esprit cocooning d’une maison particulière, de la salle du petit déjeuner sous verrière au bar à l’atmosphère feutrée avec son comptoir en onyx éclairé. Un soin tout particulier a d’ailleurs été donné à la lumière dans tout l’hôtel, avec en apothéose l’impressionnant lustre Bocci sur toute la hauteur de l’escalier magistral et les céramiques scintillantes de la piscine intérieure, nichée dans une cave voûtée. Dans les 20 chambres et suites, une fresque de l’artiste graffeur bordelais Blade détourne un portrait du maréchal Foch, apportant une sympathique touche de couleur et de modernité.
Maison Fernand : quatuor de charme
Déjà propriétaires de Maison Hiwwa au Cap Ferret, Cléo et Wahid, associés à leurs amis Lola et Ahmed, viennent d’acquérir cette bâtisse du xviiie siècle aussi haute qu’étroite, à deux pas de la très animée place Fernand-Lafargue (d’où son nom…). Sur les deux étages copiés-collés avec une chambre et une suite pour chacun, ils ont ajouté leur patte, imaginant un coin bureau très pratique, une tête de lit aux motifs organiques, des jeux de couleurs tout en délicatesse. Résultat : quatre chambres, quatre univers pleins de douceur et de poésie, entre mobilier chiné, matières naturelles, œuvres d’artistes locaux, et un toit-terrasse en prime pour les beaux jours. Une adresse résolument écoresponsable et engagée, conçue par des voyageurs pour des voyageurs, épicuriens et curieux, ouverts sur le monde comme sur le quartier.
La Zoologie : leçon de choses
« L’ancien Institut de Zoologie de Bordeaux n’étant pas classé, il aurait pu être détruit. » Stanislas de Sparre, directeur général de La Zoologie, aime rappeler que ce bâtiment construit au début du XXe siècle pour accueillir les chercheurs en sciences, abandonné ces 25 dernières années, est un survivant. Son salut, il le doit à Hélène et François Touber : ingénieurs-agronomes de métier, propriétaires du groupe HotelsT (cinq adresses à Paris et Sienne en Italie), ils ont su capter tout le potentiel de cette ruine. Séduits par l’histoire du lieu, sa façade en briques, sa charpente métallique, son carrelage géométrique au sol, ses murs de pierres apparentes, ils ont entrepris de le restaurer et de le transformer en 4-étoiles. Leur idée de génie : marier design industriel et sciences naturelles, rééditions de lampes DCW et paons décoratifs grandeur nature. À l’édifice principal, baptisé La Zoologie, les époux Touber ont accolé deux extensions contemporaines de part et d’autre : La Botanique, bardée de bois, et La Géologie, avec mur végétal et toit-terrasse. Les 40 chambres de l’hôtel inauguré en mai dernier se répartissent dans ces trois ailes, chacune avec son style. Coup de cœur garanti pour les chambres de La Géologie, avec murs peints aux couleurs du nuancier de Le Corbusier et rideaux aux motifs chatoyants en wax…
Elles donnent sur un jardin planté d’espèces exotiques rares, organisé en terrasses. Le spa en contrebas comprend deux salles de soins, un jacuzzi, un sauna et un hammam. Très agréables, le restaurant, l’écailler et le bar en rez-de-chaussée, ouverts à la clientèle extérieure, donnent une nouvelle image au quartier Euratlantique, pas le plus glamour de Bordeaux mais l’un des plus stratégiques, avec la gare Saint-Jean à dix minutes à pied.
La Course : prêt-à-partir
Membre de la collection Millésime, comme le Château de Sacy à Reims ou La Palmeraie à La Baule, La Course incarne le prestige et le raffinement à la bordelaise. Ses cinq chambres et suites se répartissent dans un hôtel particulier cossu du xviiie siècle, au cœur du quartier des Chartrons. Toutes différentes, elles ont pour point commun les références au voyage et à l’histoire de la ville. Pas simple de choisir entre l’aérienne Les Voiles, l’exotique Les Épices, la romantique Lovebird, la fantastique Nautilus ou la céleste Manon dans les étoiles, avec sa terrasse et sa petite piscine extérieure. Ici, les hôtes sont invités à faire comme chez eux : emprunter un vélo ou un livre de la bibliothèque, grignoter à toute heure l’une des gourmandises mises à disposition dans la cuisine, se servir eux-mêmes un verre de vin dans la cave…
La Maison Bord’eaux : d’un siècle à l’autre
En toute discrétion, ce boutique-hôtel géré par une famille bordelaise et membre des Collectionneurs a investi un relais de poste du XVIIIe siècle, une échoppe, ainsi que d’anciennes écuries. Récemment, il a encore grignoté de l’espace en créant une extension contemporaine, ouvrage d’acier, de verre et d’aluminium signé de l’agence bordelaise Hybre Architecte, donnant sur la rue. Le nombre de chambres est ainsi passé de
14 à 21, toutes différentes, toutes très confortables. La 303, traversante, avec vue cour d’un côté, terrasse donnant sur les ruines du Palais Gallien de l’autre, compte parmi les plus réussies. Bien vu, la salle du petit déjeuner se transforme en bar à vins le soir. Un pied-à-terre très agréable et bien placé, tout près du Triangle d’or.
Article paru dans le numéro 120 d’Hôtel & Lodge