L’ultime dérive amazonienne… C’est un drôle de bateau haut sur l’eau ressemblant avec son top en toile à un lodge flottant. Conçu pour longer les rives péruviennes de l’amazone sur son tronçon navigable, de nauta à iquitos, l’ Aria dévoile un monde à dévorer des yeux avant qu’il ne disparaisse en fumée.
Bien sûr les puristes et les géographes l’assurent, un ruisseau chétif jaillissant au pied d’une croix dans la Cordillère des Andes serait la source de l’Amazone. Mais en réalité, le fleuve vénéré par les Indiens naît en majesté de la confluence du Marañón et de l’Ucayali, à Nauta, au Pérou. C’est ici que l’Aria, amarré sur un ponton chahuté par le courant, attend ses passagers pour leur révéler un monde où l’eau et la forêt s’imbriquent, se nourrissant l’une de l’autre. Où les singes capucins violent le territoire des tapirs et des anacondas. Où les piranhas se tapissent dans les flots glauques guettant leur proie de leurs dents acérées. Où un lamantin voire une tortue Charapa, espèces toutes deux également menacées, pointent parfois devant l’objectif des croisiéristes jouant les explorateurs. Pour l’heure, dans la nuit d’encre suintant d’humidité, on avance à pas comptés sur la passerelle lancée entre la terre et le navire, éclairés par le faisceau vacillant d’un spot éphémère.
Lumière ! Aveuglante presque sur les ponts, dans les coursives et les cabines lorsque l’on prend pied sur l’Aria, salués, comme la tradition maritime le veut, par le capitaine Juan, dont la bedaine pointant sous l’uniforme laisse deviner l’appétit pour la bière locale. Les politesses d’usage échangées, on pénètre dans l’univers imaginé par Jordi Puig, architecte péruvien dont les réalisations terrestres, villas aux lignes épurées, boutique-hôtels comme le Titilaka sur le lac Titicaca, s’affichent en une des magazines internationaux d’architecture. À bord, le designer a décliné toutes les nuances couleur bois, de l’acajou des parquets, au teck des ponts, du wengé des meubles au lin des canapés, comme pour mieux se fondre dans l’environnement forestier que l’Aria fend à vitesse réduite.
Car c’est là le sujet : l’Amazone représente la plus grande réserve d’eau douce de notre planète, 12%. À condition qu’on stoppe sa mise en culture et sa déforestation non contrôlées. Au petit matin, quand le soleil se glisse entre les tentures, branle-bas de combat. Chacun s’arnache pour la première excursion sur une barque à fond plat, idéale pour s’enfoncer dans les méandres du fleuve jusqu’au village indien le plus isolé, jusqu’au minuscule rio de la Réserve Pacaya-Samiria, « la jungle des miroirs », plus vaste forêt inondable d’Amazonie, patchwork de lagunes, lacs, marais, prairies humides. Silence ! Pour ne pas effrayer les quelque deux cents espèces animales répertoriées par les gardes de la Réserve et surprendre aux aguets le jaguar, suivre le vol d’un couple de toucans, apprécier la technique de pêche des autochtones en équilibre sur leur pirogue. Et rêver que les hommes deviennent assez sages pour arrêter leur massacre à la tronçonneuse.