Des 10 chambres ouvertes dans un bungalow par les frères Sarkies jusqu’aux 115 suites élégantes d’aujourd’hui, en 133 ans, le Raffles, monument historique, a construit sa legende.
Par Anne-Marie Cattelain Le Dû
L’histoire du Raffles se confond avec celle de la colonisation britannique dont sir Stamford Raffles pose les bases en 1819,mais aussi avec celle des commerçants arméniens venus, un an après, d’Inde et d’Ispahan. Martin, Tigran, Aviet et Arshak Sarkies, quatre frères issus de cette diaspora, se lancent au milieu du xixe siècle dans l’hôtellerie de luxe, en construisant le Eastern & Oriental à Penang, en Malaisie.
En 1920, le Rendez-Vous des Planteurs est rebaptisé Long Bar en référence à son immense comptoir. Mythique, il a été, hormis quelques changements mineurs de mobilier, respecté lors de la récente rénovation.
Européens et Asiatiques fortunés s’y précipitent, incitant Tigran à acheter à Singapour, en 1887, un bungalow dans lequel il aménage dix chambres. Il le baptise Raffles, en l’honneur du père fondateur de la colonie. L’ouverture est annoncée en novembre dans The Straits Times.
Désormais, de hauts immeubles toisent la piscine et une voie rapide cerne le Raffles… Singapour n’a pas fini sa mue.
Sur Beach Street, avec la mer en vis-à-vis, le Raffles affiche vite complet. Acquisition de terrains, constructions de style colonial par l’architecte Bidwell, parc de 5 hectares planté de palmiers, de frangipaniers… Dix ans après sa naissance, le 18 novembre 1897, le Raffles, désormais palace, inaugure ses hautes arcades.
Avec sa hauteur sous plafond vertigineuse, le Grand Lobby évoque toujours la splendeur du palace des années 1930. © Ralf Tooten
Dès lors, il devient le refuge des VIP, des écrivains notamment. Rudyard Kipling y dîne fréquemment. William Somerset Maugham le découvre en 1921. Il y séjournera régulièrement jusqu’en 1962, s’inspirant de son ambiance. Conrad, Malraux, Hemingway s’y affichent.
© Raffles Hotel Singapore
Aujourd’hui, le Raffles invite des écrivains en résidence. Rouvert en août 2019, décoré par la New-Yorkaise Alexandra Champalimaud alliée au grand cabinet d’architecture hongkongais Aedas, le Raffles, qui ne voit plus la mer, repoussée bien au-delà par la construction d’îles artificielles, appartient au fonds qatari Katara Hospitality.
©Raffles Hotel Singapore
Le groupe français Accor, qui a racheté en 2016 la marque Raffles, le gère, veillant à conserver son aura malgré la luxueuse galerie marchande dont le va-et-vient des clients trouble l’intimité. N’empêche, Pico Iyer, premier auteur résident, y a puisé l’inspiration de son livre This Could Be Home: Raffles Hotel and the City of Tomorrow.
Mets & cacahuètes
À l’affiche : cinq restaurants, dont trois tenus par des stars (Anne-Sophie Pic, Alain Ducasse et monsieur « Top Chef » chinois, Jereme Leung), trois bars, dont le mythique Long Bar magnifiquement restauré. On y vient savourer le Singapour Sling, créé par Ngiam Tong Boon en 1920 en écossant des cacahuètes, jetant les coques sur le sol. Un rite qui perdure !
Article paru dans le numéro 115 d’Hôtel & Lodge