Depuis quatre ans, le directeur artistique d’Orient Express planche en simultané sur deux projets fous : un train et un voilier, symboles contemporains du luxe ultime et du meilleur de l’artisanat français. Il a accordé un entretien exclusif à Hôtel & Lodge.
Texte Céline Baussay / Photo de couverture Franck Juery
Pour Maxime d’Angeac, il y a un avant et un après 2021. Cette année-là, Sébastien Bazin, PDG d’Accor, lui confie la direction artistique de la marque Orient Express dont le groupe hôtelier est propriétaire, en association avec LVMH. Depuis, avec sa double casquette d’architecte et de décorateur, il s’applique à réenchanter la mythique marque française. Sa seule pause, sacrée : une session quotidienne de MMA, « pour débrancher, me défouler. »
Avec son équipe et les meilleurs artisans d’art français, il mène de front deux projets pharaoniques : la restauration de 17 wagons historiques destinés au futur train Orient-Express qui sera lancé en 2027 et la construction de l’Orient Express Corinthian, un yacht aux équipements de pointe, long de 220 mètres, avec trois mâts inclinables de plus de 100 mètres de haut et 54 suites à bord. « Le plus grand voilier du monde » effectuera sa croisière inaugurale en juin prochain, depuis Marseille. Son sistership (navire-jumeau), l’Orient Express Olympian, prendra la mer un an plus tard.
D’ores et déjà, il est possible de voir les maquettes grandeur nature du futur train Orient Express présentées dans le cadre de l’exposition « 1925-2025. Cent ans d’Art déco » au musée des Arts Décoratifs à Paris jusqu’au 26 avril 2026.
Entretien avec Maxime d’Angeac
Comment définissez-vous votre mission pour Orient-Express ?
Nous transformons cette marque sublime en lui donnant du contenu, avec deux éléments forts : le train, pour incarner l’héritage, et le navire, pour pousser le modèle encore plus loin. Finalement, nous avons créé trois hôtels : le train, c’est un hôtel roulant ; Et sur le bateau, il y a deux types de chambres : j’ai conçu ce que l’on pourrait appeler un hôtel en soi sur le pont 7 tout entier, et un autre hôtel sur les ponts 4, 5 et 6, d’une complexité au-delà de l’entendement. Si je caricaturais, je dirais que j’ai réalisé l’équivalent des trois hôtels les plus compliqués du moment. Sécurité, mouvement, niveau de luxe, de savoir-faire, exigences d’Accor autour du goût français, processus industriel… On ne peut pas faire pire ! Avec des délais fous et une pression totale pour des projets, le train comme le voilier, qui sont inédits depuis 110 ans. C’est absolument pharaonique, de la haute voltige. J’ajouterais que je suis architecte et décorateur et que je pense que le train ni le bateau n’auraient pu aboutir si je n’étais pas l’un et l’autre, sincèrement. La dimension décoration est colossale. Mixer ces deux savoir-faire fait économiser du temps, de l’argent.
Vous avez commencé par le train…
Oui, c’est un projet hautement compliqué sur 17 wagons, qui s’apparente à faire restaurer 17 Rolls Royce Silver Shadow de l’entre-deux guerres par des garagistes italiens et anglais, plutôt que de créer des BMW flambant neuves qui sortent en série.
Comment est née l’idée du bateau ?
Dans la tête de Sébastien Bazin, le PDG du groupe Accor ! Il est breton, il adore la mer. Le challenge était suffisamment fou pour qu’il se lance dedans à pieds joints. Qu’il y croit, qu’il impulse sa vision aux Chantiers de l’Atlantique. Dans un deuxième temps, c’est moi qui suis intervenu pour ramener du luxe et du savoir-faire avec 54 cabines, toutes sur mesure, avec marbre, bois, velours, soie, verre, cristal… Ce bateau, c’est un prototype. Personne n’a placé trois mâts de 100 mètres de hauteur sur un voilier qui a cette ligne. C’est un palace flottant, d’une grande richesse, avec un très faible tirant d’eau (5,50 mètres) et extrêmement flexible pour aller partout. Ses destinations ont été imaginées à partir de routes qui ont, au moins la moitié du temps, le vent nécessaire pour ne pas avoir à utiliser de moteur. C’est l’objectif : ni trop de vent, ni pas assez. Et cela aussi, c’est une révolution. Le premier bateau part 24 avril 2026, le second un an après.
Comment se traduit le niveau d’exigence pour de tels projets ?
Je suis extrêmement difficile. Je veux de la légitimité. Par exemple, nous avons choisi de créer des pendules avec Cartier. Nous les avons dessinées ensemble, pour le train et pour le bateau. Pourquoi Cartier ? D’abord parce que, en 1920, Cartier était omniprésent dans l’art décoratif, et ensuite parce que leurs « commerciaux », même si on ne les appelait pas ainsi à l’époque, utilisaient l’Orient-Express pour voyager dans toute l’Europe et aller vendre leurs produits. Il n’y a aucun hasard… J’ai remis à plat toutes les exigences d’Orient-Express : le savoir-faire, le savoir-vivre, le confort, le goût français… Il ne s’agit pas seulement d’aller d’un point A à un point B. C’est le retour à un voyage dont on profite, on admire la vue, on profite des arrêts… Tout ce qui permet de redonner une certaine intelligence à des modes de déplacement qui sont devenus de plus en plus rapides, polluants, avec de moins en moins de sens.
Comment avez-vous appréhendé le parallèle entre 1925 et 2025, entre l’âge d’or de l’Art Déco et la période actuelle ?
Avec Orient Express, nous portons une charge mythique colossale et par le travail que je mène depuis quatre ans, j’essaie d’amplifier cela. Nous sommes partis d’une énorme page blanche, mais avec un monceau de mémoire, de souvenirs et d’archives de la marque. Je connais très bien cette époque et c’est un tel creuset que faire un parallèle entre 1925 et 2025 était facile, c’est aussi ce que démontre l’exposition au musée des Arts Décoratifs. Notre démarche n’est absolument pas nostalgique, et ce depuis le départ. Au contraire ! Inventer, innover techniquement, c’est dans l’ADN d’Orient Express. L’idée à l’époque était de créer un voyage d’expérience. Sébastien Bazin, lui, a donné une nouvelle impulsion.
L’innovation est donc un fil rouge ?
Oui, nous avons par exemple amené de la technologie de l’aviation dans le train. C’est plus léger, et plus cher, mais cela présente beaucoup d’avantages. Ainsi, nous avons choisi une isolation thermique extrêmement fine pour le train, comme dans un avion.
Quelle est la place de l’artisanat français dans vos projets ?
J’ai sollicité les meilleurs artisans d’art français. Sur le train, nous avons travaillé à 98 % avec des artisans français, sur le bateau à 75 %. Y compris avec des petites maisons peu connues, comme la Manufacture Royal Monvalley. Elle a 200 ans, c’est elle qui avait réalisé le tissu gaufré de l’Orient-Express, et nous l’avons sollicitée à nouveau. Tout est conçu sur mesure et l’inspiration, c’est que rien ne peut pas détoner avec notre marque. Je dis toujours que la marque Orient Express est plus forte que nous. C’est un bijou et personne ne doit l’abimer en en faisant trop ou pas assez.



Quelle est votre intervention dans l’exposition au musée des Arts décoratifs ?
Le musée nous a proposé de montrer dans cette exposition consacrée au centenaire de l’Art déco tout notre travail sur le train, y compris les maquettes à échelle réelle dans la grande nef. C’est une sorte d’aboutissement de présenter, dans l’un des plus beaux musées du monde, un parallèle avec ce qu’avaient fait en 1925 Suzanne Lalique, René Prou, et ce que nous avons réalisé, nous. L’Art déco, c’est vraiment un vocabulaire : des paternes, des motifs, une géométrie, un équilibre, des matières, brillantes ou ternes, du métal, certains types de bois, et après, chacun a trouvé son style. Nous nous inscrivons dans cette démarche, nous poursuivons cette histoire, mais sans tomber dans le plagiat ou la nostalgie.
En prenant du recul, parvenez-vous à mesurer l’ampleur de ces projets ?
Oui et non. Oui, avec le fait d’entrer au musée des Arts décoratifs, je suis presque gêné, j’ai un peu le complexe de l’imposteur. Et à côté de cela, nous avons tellement travaillé, avec tant de bonnes personnes, que je suis super fier. Depuis quatre ans, je ne travaille que pour Orient-Express, nuit et jour. Mais je ne veux pas être englouti par cette marque. Oui, je suis derrière, mais je ne veux pas m’arrêter là. Je ferais bien, ensuite, un Aman, un hôtel d’envergure… Depuis près de 40 ans, mon travail a toujours tourné autour de la maison, de l’échelle humaine : la chambre, la salle de bain, l’accueil, dedans-dehors, la lumière… C’est mon vrai savoir-faire et ce qui me permet de concevoir ces chambres d’hôtel dans un train, dans un bateau. J’en ai même fait avant dans un hôpital. Mais je n’ai pas encore eu le temps de faire des hôtels.
Ses parenthèses-voyages

« Depuis quatre ans, même si c’est avec mon ordi, mes cahiers, je m’éloigne quand même, pour prendre du recul, sortir du mixeur. J’adore l’océan – c’est mon pays, je suis Gascon – et cet endroit fantastique dans les Landes, la Beach House d’Huchet, propriété de la famille Guérard, le top du luxe pour moi. Mes autres hôtels préférés ? Passalacqua sur le lac de Côme, La Réserve à Genève, le Four Seasons à Athènes, juste sublimes. Et quand je vais dans un Aman, c’est toujours formidable. »



