Ville, mer ou lac ? Et pourquoi pas les trois ? À Rome, le premier palace de la marque Orient Express ; sur la côte toscane, une villa historique réenchantée ; au bord du lac de Côme, un hôtel de légende au charme intact. Trois adresses en Italie pour trois fois plus de bonheur !
Texte Céline Baussay et Jane Puech
01 – ORIENT EXPRESS LA MINERVA

Dites « Orient Express » et des paysages défilent lentement sous vos yeux au rythme brinquebalent d’un wagon de luxe. Le nom, à lui seul, évoque le faste et l’ailleurs. Désormais, il invite aussi au voyage immobile. En avril dernier, la marque mythique Orient Express, relancée par le groupe Accor, dévoilait son premier hôtel 5-étoiles au cœur de Rome, à deux pas du Panthéon. L’adresse, bien connue des romains, est un ancien palazzo du XVIIe siècle transformé en hôtel depuis 1811. Hugo Toro, pétillant architecte et peintre franco-mexicain de 35 ans, a réveillé cette belle endormie appelée aujourd’hui Orient Express La Minerva : « L’exercice était de traduire l’idée d’un voyage sans mouvement, hors du train, tout en ancrant l’hôtel dans un contexte romain. J’ai absorbé les stigmates du passé de la Città Eterna pour les retranscrire à ma manière et de façon contemporaine. » Tel un brillant metteur en scène, celui qui avait auparavant rénové la Villa Albertine à New York et le Mas Candille à Mougins a tiré son inspiration de ce qui l’entourait : de l’oculus du Panthéon aux rideaux verts du confessionnal de l’église voisine.
On entre dans l’hôtel sous un ciel peint réinterprété, clin d’œil aux plafonds historiques. À gauche, la réception intimiste ; à droite, la conciergerie évoquant subtilement l’univers ferroviaire. Au bout du couloir, le majestueux bar-lounge-restaurant baigné de lumière naturelle sous la nouvelle verrière. La profusion de plantes donne une ambiance de salon d’hiver Art déco, revisité. Hugo Toro a tout dessiné : tapis, luminaires, mobilier… Ainsi du bar, élaboré en 3D et sculpté dans du travertin : « Je suis un geek. J’aime allier la technologie moderne et l’héritage du passé ». Minerve, déesse de l’art et de l’artisanat, semble approuver. Sa statue trône au-dessus du comptoir.


Dans les 93 chambres et suites (dont l’une, dit-on, serait habitée par un fantôme), tout a été fait sur mesure. Hugo Toro joue sur les matières et textures comme un peintre. Les patines et pigmentations sont rehaussées de bois sombre. Il s’en dégage une élégance qui se retrouve dans les salles de bains aux vasques en forme de coquillage : « J’ai une approche des années 1930 où l’architecte était aussi artiste et graphiste. » Hugo Toro voit grand, réfléchit en globalité, mais reste obsédé par les détails. Les extincteurs de feu rouge écarlate dans les couloirs ? Il les cache par un ingénieux système rotatif. Idem pour les prises de la table de nuit, dissimulées dans un coffre s’ouvrant à la verticale.
Si La Minerva ouvre un nouveau chapitre, elle a conservé une partie de son équipe d’origine, faisant ainsi perdurer l’âme de cette belle demeure. Elle accueillera prochainement un spa et un bar à l’esprit d’un train Art déco. En attendant, les hôtes explorent la ville depuis le toit-terrasse à la table du restaurant Gigi Rigolatto. Difficile de quitter ce point de vue à moins de rencontrer la concierge Alessandra Roberti Cozzo. Après 23 ans à l’Hotel de Russie, elle connaît Rome comme sa poche et invite à découvrir des lieux méconnus. La ville a encore plein de secrets…



Côté Rail
À la gare de Rome-Ostiense, Hugo Toro a signé le lounge exclusif accueillant les passagers du nouveau train La Dolce Vita Orient Express, décoré par Dimorestudio, lancé en avril dernier. Plafond laqué, bois, séparateurs d’espace, chromes… L’architecte-artiste reprend avec brio les codes ferroviaires dans un esprit des années 1960-70.
02 – PENSIONE AMERICA

La station balnéaire de Forte dei Marmi, à 20 minutes de Pise, retrouve cette année son icône : Pensione America fut l’une des premières villas construites ici, au tournant du XXe siècle. Transformée en hôtel en 1922, elle est devenue au fil du temps le lieu de villégiature des grandes familles italiennes (Agnelli, Visconti…), des intellectuels et des artistes (Édith Piaf, Ray Charles, Gloria Gaynor…), séduits par son atmosphère chic et discrète. Son âge d’or : les années 1960. Acquise après une longue période de fermeture par le groupe familial Collezione Em (qui possède aussi le Villa Roma Imperiale à Forte dei Marmi, Violino d’Oro à Venise, le Grand Hotel Minerva et le Brunelleschi Hotel à Florence), Pensione America renaît enfin.
Une rénovation complète lui a redonné sa splendeur passée, avec 18 chambres et suites et leur véranda fleurie donnant sur les jardins de glycines. « C’est l’une des dernières villas historiques ici, souligne Sara Maestrelli, copropriétaire de Collezione Em. Nous avons voulu recréer l’esprit, l’âme d’une pension familiale. Et tous les éléments de décoration ont été réalisés sur mesure par des artisans italiens. » Sols en terre cuite, carreaux de faïence, meubles en bambou, papiers peints à la main, rideaux en lin… Derrière sa façade rose-orangé, sa couleur d’origine, la villa dévoile des intérieurs lumineux, frais, colorés. Labellisé Leading Hotels of the World, ce bijou d’hôtel réservé aux adultes possède aussi un beach club avec un restaurant les pieds dans le sable et un club de tennis, lui aussi ancien, une autre institution de la côte toscane.
03 – GRAND HOTEL VILLA SERBELLONI
Lifting des chambres, création d’un spa de 1 500 m2… Cette somptueuse villa aristocratique posée au bord du lac de Côme évolue, sans trahir son ADN classique chic et son esprit familial. Une nouvelle étape pour ce 5-étoiles, le seul du village de Bellagio, qui raconte près de 180 ans d’histoire.

Tout commence en 1850 quand le comte Frizzoni confie aux meilleurs architectes du moment la construction d’une villégiature pour son épouse, sur un site exceptionnel : une avancée dans le lac, au pied d’une colline verdoyante. En 1873, nouveau propriétaire, un certain monsieur Breitschmid, entrepreneur suisse-allemand, décide de l’agrandir et de la transformer en hôtel, tout en conservant la trilogie de styles, Empire, Art nouveau et néoclassique, qui fait toute sa singularité. En 1918, lui-même consent à la céder à un acheteur, Arturo Bucher, à une condition : qu’il puisse continuer à y vivre jusqu’à sa mort, finalement intervenue à l’âge de… 107 ans.
Depuis, la famille Bucher veille toujours sur cette grande dame et c’est aujourd’hui la quatrième génération incarnée par Jan Bucher, sympathique trentenaire, qui est aux commandes. Ses parents vivent sur place (il n’est pas rare de les croiser) et restent très impliqués : son père Gianfranco, l’un des plus grands collectionneurs d’art italiens, choisit les peintures et les sculptures exposées dans l’hôtel : des œuvres authentiques de Chagall, Kandinsky, Miró… En duo avec sa mère Ducia, Jan supervise toute la partie décoration et notamment la rénovation entreprise l’an dernier « dans le respect de l’existant », précise-t-il. Fresques et tapisseries d’origine, plafonds peints et à caissons, dorures, lustres en cristal de Murano, mobilier Louis XV et Empire habillent les fastueux salons de réception et les 94 chambres et suites, dont 80 viennent d’être redécorées dans des tons pastel, orange, cerise… Parmi elles, trois suites signature, Churchill, Newton et Kennedy, du nom des personnalités qui y ont séjourné, et trois nouvelles chambres insolites, la Soie (la seule dont les draps sont en soie), l’Or et l’Art (où l’on dort littéralement sous un Warhol). Autre espace inédit, le bar en plein air, Darsena, parfumé par les glycines violettes. Ici, tout comme à l’American Bar plus feutré, officie Alessandro Buonadonna, le chef barman, ingénieux alchimiste, qui a créé des parfums comestibles à partir d’herbes et de plantes du jardin (bergamote, lavande, mandarine…). Il en fait choisir un à ses clients après avoir pulvérisé leur poignet, puis l’associe à du gin tonic : « c’est avec ce cocktail que le parfum s’exprime le mieux », assure-t-il. Au restaurant gastronomique Le Mistral, le chef Ettore Bocchia, pionnier de la cuisine moléculaire en Italie, aime lui aussi surprendre, avec sa viande de paon servie avec des tortellinis, son foie gras éthique (sans gavage) venu d’Andalousie, son service au guéridon, « pour rester dans l’imaginaire des années 1930 ». Et ça plaît : en été, il faut compter deux mois d’attente pour réserver une table sous la haute verrière dominant le lac, face aux montagnes de la Suisse voisine dont les sommets restent mouchetés de neige jusqu’en juin.




Un spa dans la lumière
Inauguré l’an dernier, le magnifique spa Luce del Lago, décoré de marbres, mosaïques en verre et panneaux brodés à motifs végétaux, reprend à son compte « le bleu du lac, le beige du sable et le rose du coucher du soleil », explique Ducia Bucher, qui s’est beaucoup investie dans ce projet. Il s’étend sur 1 500 m2, avec des installations premium : piscine à hydromassage, douches sensorielles, hammam avec parcours bien-être complet, suite spa privée avec sauna, jacuzzi, lits en quartz chauffés… Les soins sont signés Mei, Sothys et Phytomer. « J’avais envie d’un lieu où l’on peut s’abandonner, libérer son âme, sentir des parfums agréables, tout simplement trouver un effet bénéfique », confie la maîtresse des lieux.
Article paru dans le numéro 141 d’Hôtel & Lodge.



