Monter à bord d’un avion comme on entre dans un 5-étoiles et voyager dans un univers grand luxe, telle est la promesse de la Première classe proposée sur les vols long-courriers par les meilleures compagnies aériennes du monde. La vie de palace à 10000 mètres d’altitude.
Texte Céline Baussay
Elle fait rêver tous les grands voyageurs avec ses sièges qui se transforment en lits, ses menus signés de chefs étoilés, ses milliers de programmes de divertissement sur grand écran, ses jolies trousses remplies de produits de marques prestigieuses… et bien sûr, à terre, pour ses transferts privatifs, ses coupe-files, ses lounges d’aéroport, toujours plus beaux et agréables. Mais la première classe, la plus luxueuse de toutes, va-t-elle finir par disparaître des avions ? Depuis une vingtaine d’années, les observateurs du secteur aérien se posent la question, nombre de compagnies y ayant déjà renoncé partiellement ou totalement : Turkish Airlines, Air New Zealand, Asiana, American Airlines ou encore Oman Air, récemment. La raison ? Ce marché d’ultra-niche nécessite d’énormes investissements pour quelques cabines qui occupent un espace important à bord et sont difficiles à remplir. « La première classe n’existera plus chez American Airlines pour la simple raison que nos clients ne l’achètent pas »,avait ainsi justifié Vasu Raja, le directeur commercial, fin 2022. « Nous constatons une forte demande pour la première classe et avons décidé d’introduire une nouvelle cabine », a annoncé Badr Mohammed Al-Meer, le nouveau PDG de Qatar Airways, à la chaîne américaine CNBC, il y a un an… sans reprendre la parole officiellement sur le sujet depuis.
D’autres compagnies, essentiellement européennes, asiatiques ou du Moyen-Orient, jugent au contraire qu’elles se doivent de proposer une première classe, a minima sur certaines lignes, aux voyageurs à très haute contribution. Question de service client, mais aussi d’image. C’est le cas de Swiss, Korean Air, Japan Airlines, ANA (All Nippon Airways), Delta Air Lines ou encore de Saudia. Lufthansa, qui avait réduit drastiquement la voilure depuis 2013, a opéré ses premiers vols avec l’Allegris First Class, dont les sièges sont dotés d’un système de chauffage et de refroidissement, et transformables en lit simple ou double, au choix. Cette cabine peut être totalement cloisonnée du sol au plafond et fermée à clé.
Certes restreint (on parle d’une poignée de sièges par avion, moins de dix), ce marché n’en est pas moins très concurrentiel et dynamique : Air France présente ce printemps son nouveau concept de cabine, « La Première », « le summum de l’excellence », selon Fabien Pelous, directeur de l’expérience client (cf. encadré). Etihad, qui a remis en service l’A380 sur la ligne Paris/Abu Dhabi en novembre dernier, accueille sur son pont supérieur neuf First Class Apartments et l’incroyable Residence, un vrai appartement avec chambre, salon, salle de bains, pour deux passagers. Emirates met également à disposition une douche-spa à bord de l’A380. Pour le Boeing 777, la compagnie émiratie a misé sur « un design haut de gamme, inspiré de la marque automobile Mercedes-Benz avec des sièges en cuir “zéro gravité” , des panneaux de commande high-tech, des portes coulissantes, un contrôle de la température… », explique Cédric Renard, le directeur général France, qui a inauguré en juin dernier un lounge exclusif de 925 m2 à Paris-CDG. British Airways a annoncé de son côté le déploiement à venir de sièges ultra-larges dans une cabine première classe dont les formes en courbes évoquent les ailes du Concorde. Qantas planche sur son projet de vol ultra-long-courrier (Australie/Europe sans escale) en A350 qui intégrera six suites First combinant espace et ergonomie. Singapore Airlines n’est pas en reste avec « les Suites, un produit spécifique à l’A380, et la première classe sur les B777-300ER qui opèrent notamment sur la ligne Paris/Singapour, rappelle Franklin Auber, le directeur marketing-communication de la compagnie en France. Dernière nouveauté en date, un champagne d’exception, le Louis Roederer Cristal 2015, est servi à bord. Franklin Auber révèle aussi « le lancement d’une cabine inédite en 2026 qui comptera une nouvelle première classe et une nouvelle classe affaires, d’abord déployées sur les A350, puis sur les nouveaux B777-9. »
Si elle est parfois menacée, c’est aussi parce que la première classe n’a plus le monopole du luxe. De plus en plus, la classe affaires lui « vole » des voyageurs à haute contribution : le résultat d’une montée en gamme aussi coûteuse qu’ambitieuse et audacieuse, initiée simultanément par plusieurs compagnies. Pionnière, Qatar Airways avait frappé fort en lançant en 2017 la QSuite, maintes fois primée depuis, pour sa configuration privative, son niveau de confort et son service très haut de gamme. Une nouvelle version, la QSuite Next Gen, incluant notamment des suites quadruples, est installée tout au long de cette année. Récemment, Cathay Pacific a dévoilé sa Suite Aria, remarquable par son élégance, sa configuration pour plus d’intimité et la qualité des matières (daim, laine, cuir…), qui sera mise en place progressivement sur ses Boeing 777-300. Turkish Airlines procède au déploiement de sa suite Crystal. Finnair, elle, termine tout juste l’introduction d’un siège inédit en classe affaires, qui reprend à son compte les lignes épurées du design scandinave. Bien vu, la trousse d’amenities aux motifs Marimekko. Enfin, il faut saluer le positionnement très spécifique de La Compagnie, l’entreprise française qui propose depuis 2013 des vols 100 % classe affaires entre l’Europe et les États-Unis (Paris/New York en particulier). Soit 76 sièges-lits, une capacité d’accueil très restreinte à bord d’A321neo (un troisième sera livré en septembre 2026), propices à une traversée de l’Atlantique calme et sereine. « Tous les passagers bénéficient du même niveau de service et de confort, mais sans ostentation, souligne Christian Vernet, le PDG. La Compagnie vise à offrir une expérience de voyage aérien raffinée et personnalisée, où chaque détail est pensé, reflétant ainsi l’état d’esprit des hôtels les plus prestigieux. » Comparer les meilleurs sièges dans un avion à une suite dans un palace a du sens aussi pour Fabien Pelous d’Air France : « Notre nouvelle cabine La Première possède deux dimensions similaires à l’hôtellerie de luxe : le produit lui-même et le service. De même qu’un palace ne vend pas une nuitée, mais une expérience, une compagnie aérienne ne vend pas un voyage, mais une expérience. » Tout comme le ciel, le luxe dans l’aérien n’a plus de limites.
Le luxe dans l’aérien : trois visions pour demain
Fabien Pelous, Air France : « Le luxe se concentrera sur l’hyper-personnalisation. Il faudra pouvoir anticiper tous les éléments propres au client, sans avoir à les lui demander, personnaliser les cadeaux, offrir des produits différents selon si le client a les mains sèches ou non, par exemple. »
Christian Vernet, La Compagnie : « J’imagine des cabines ultra-privées façon yacht, des services hyper-personnalisés (chefs en vol, conciergerie), des expériences bien-être inédites (spa, fitness) ou encore des voyages immersifs (hublots panoramiques, projections à 360°). »
Cédric Renard, Emirates : « Parmi les pistes envisagées, un service de conciergerie à bord, pour réserver des restaurants ou organiser des excursions sur mesure ; des suites panoramiques avec une vue imprenable sur le ciel et la Terre, pour une expérience sensorielle inédite ; l’intégration de technologies avancées, telles que la réalité virtuelle pour préparer le voyage ou des outils d’intelligence artificielle capables d’anticiper les préférences des passagers. »
Fabien Pelous, directeur de l’expérience client Air France : « La nouvelle cabine Première, comme dans un jet privé »
« Dans le cadre de notre stratégie de montée en gamme, nous dévoilons une nouvelle cabine La Première, qui concerne quatre sièges dans chaque avion, ce qui crée une atmosphère de jet privé. Elle démontre que le luxe, c’est aussi l’espace : elle est la plus longue du marché, avec cinq hublots et trois équipements, un siège, une méridienne et un lit. L’offre gastronomique monte en gamme également avec des plats tous signés de chefs triplement étoilés. La vaisselle est dessinée par Jean-Marie Massaud, les couverts viennent de chez Christofle… Nous collaborons avec le meilleur sommelier de France, Xavier Thuizat, et développons une sélection spécifique de vins, de champagnes, de bières et même de cocktails. Enfin, la “relation attentionnée”, comme nous l’appelons, est poussée au maximum, avec un personnel sélectionné et spécialement formé pour cette cabine, une ligne téléphonique dédiée, un référentiel client avec ses préférences d’oreiller, de vin… Nous sommes dans une logique de relation très personnelle, un savoir-être et un savoir-faire qui incarnent l’art de vivre à la française. »
Article paru dans le numéro 139 d’Hôtel & Lodge.
